Destin de femme: La traversée du désert - "La princesse et le serpent"
- Par kleiberpat
- Le 07/03/2020
- Dans Que nous révèlent les contes et mythes?
ÉLÉMENTS D'ANALYSE DE "LA PRINCESSE ET LE SERPENT" (conte grec)
Il était une fois un roi qui souhaita en vain, pendant 17 ans, avoir un enfant, jusqu’à ce que sa femme mette au monde une petite fille. Lorsque celle-ci atteignit l’âge d’apprendre, son père lui fit étudier les sciences: elle devait devenir philosophe. Mais cela la rendit hypocondriaque. Et elle recherchait continuellement la solitude.
D’emblée, nous cernons le problème que pose ce conte: celui d’une fille née à l’issue d’une longue attente, donc intensément désirée, et qui va avoir une relation privilégiée avec son père. Une telle fille, dont l’éducation est excessivement intellectuelle, sous l’égide de son père, développera un excès de masculinité et un rejet de sa féminité.
Contrairement aux contes où c’est la mère qui désire un enfant, cette fille a été attendue par son père durant 17 ans. Or, une fille que l’on attend 17 longues années va certainement avoir une destinée particulière, où le masculin aura une place prépondérante.
On pourrait se demander: pourquoi 17 ans?
Ce nombre symbolise la libération de son karma. Dans le Tarot, la lame 17 est celle de l’étoile à 8 branches, qui signifie la transformation, la renaissance, l’individuation - la maturation selon Jung. Dans l’alphabet grec, il y a 17 consonnes, c’est-à-dire la somme de 8 consonnes et de 9 semi-voyelles et semi-consonnes.
Enfance et éducation dénaturée
Le roi éduque donc sa fille d’une manière tout à fait inaccoutumée, voire dénaturée: il lui fait enseigner la PHILOSOPHIE. Il est évident qu’il souhaitait un fils. Les aînés sont d’ailleurs souvent désirés comme des garçons - en raison du droit d’aînesse toujours vivace dans l’inconscient collectif. Et les filles aînées deviennent alors des "garçons manqués".
Cette fille a ainsi un complexe-père positif. Une fille avec un tel complexe-père aura une vocation spirituelle, intellectuelle, un vif intérêt pour les activités de l’esprit, et elle ne souhaitera pas se confiner dans un monde exclusivement féminin. Malheureusement, cela va créer un conflit avec sa nature féminine biologique: en effet, tant que le masculin n’est pas développé, différencié et intégré par le biais d’une activité créatrice, il reste négatif et conflictuel dans l’inconscient de la femme.
Un jour que la princesse était seule à broder, elle entendit une voix lui dire: "Maintenant dans la jeunesse, ou dans la vieillesse?" D’effroi, elle s’évanouit. Puis un certain temps s’écoula et, alors qu’elle était de nouveau seule, la même voix se fit entendre une seconde fois. Son père demanda conseil aux philosophes qui instruisaient sa fille et ceux-ci recommandèrent de répondre à la voix: "Maintenant, dans la jeunesse, quand j’en ai encore la force."
À l’instant précis où elle prononça ces mots, apparut un aigle qui l’emporta dans un désert. Il lui donna une nappe capable de lui offrir à manger et une paire de sabots. Puis il l’abandonna toute seule. Eplorée, elle erra dans le désert pendant 8 ans.
Question posée par l'aigle
À force de suivre la voie toute tracée par son père et d’étudier, la princesse devient hypocondriaque et solitaire, totalement isolée de la vie. Jusqu’à ce qu’un jour, un aigle lui pose une question étrange, à laquelle les philosophes de la cour lui conseillent de répondre positivement.
Que signifie cette mystérieuse question?
L’aigle est un messager des dieux (l’oiseau de Zeus): dans de nombreux mythes, il est un oiseau solaire car il est le seul oiseau à pouvoir regarder le soleil en face sans être aveuglé. Il représente l’intuition, l’inspiration, des pensées élevées ou ambitieuses, ou un état de possession par l’esprit. En tant que roi des oiseaux, l’aigle est fier et arrogant et symbole de pouvoir. On l’utilise fréquemment dans la science héraldique, et de nombreuses familles nobles ont un aigle sur leur blason, sans compter les pays ou les rois qui l’ont choisi pour emblème (France sous Napoléon, Allemagne...).
Le désert intérieur
Après lui avoir répondu "maintenant", la princesse est instantanément transportée dans le désert par l’aigle: cela signifie qu’elle est possédée par l’aigle, qui est une figure masculine.
Par conséquent, elle est immergée dans son désert intérieur et entame une "traversée du désert" caractérisée par le vide, l’introspection, la solitude. Elle est victime d’une grave dépression durant laquelle l’aigle la nourrit par l’intermédiaire d’une nappe magique: cela n'est pas sans évoquer l’apôtre Jean sur l’île de Patmos, qui a été nourri par des corbeaux, et qui, dans le christianisme, est représenté par un aigle.
L’aigle est une figure masculine négative pour la princesse: cela l’isole mais l’aigle malgré tout la nourrit. Même si elle souffre, la princesse a une vie intérieure riche. Pour l’instant, elle doit se contenter de cette nourriture de l’esprit, nourriture spirituelle, et toute nourriture féminine lui est encore interdite et inaccessible, comme l’amour, les relations humaines, ou le mariage.
Psychologiquement, la véritable possession par le masculin chez une femme rend toute relation humaine et toute incarnation dans la vie impossibles. Mais sa vie intérieure peut être préservée et enrichie, dans le secret de son âme, du fait que son entourage n’en est pas conscient.
La princesse demeure donc 8 ans dans le désert, souffrant de cette dépression: 8 ans représente un cycle complet, une totalité double (2X4).
Il s’agit d’une période d’incubation durant laquelle elle est nourrie par sa vie intérieure. Et, quand la vie intérieure fleurit avec abondance, la situation n’est jamais désespérée. Il suffit d’être patiente et d’attendre que cette période s’achève pour pouvoir s’incarner dans le monde extérieur.
Emergence de la créativité
Après ces 8 années de traversée du désert, elle retrouve enfin le monde des humains. Elle est recueillie par un BERGER, sa femme et sa fille, et retrouve ainsi une famille. Mais elle doit d’abord vivre au milieu d’eux humblement, sans dévoiler sa véritable identité.
Le BERGER représente une nouvelle figure masculine pour la princesse, différente de l’aigle et de son père. C’est un homme simple et humain qui est proche de la nature et des animaux et non un pur esprit.
Les bergers sont souvent considérés comme des magiciens et des guérisseurs. Chez les Grecs, le dieu Hermès était le berger des humains. Le dieu Judéo-Chrétien et le Christ étaient aussi des bergers ("le Seigneur est mon berger"). En général, le berger apporte le salut, la libération, et l’unité entre l’humain et l’animal, entre la conscience et l’instinct inconscient. Il est donc source d’équilibre et de mesure.
La fille du berger était chargée de livrer le lait et le fromage à la cour du roi. Un jour qu’elle était malade, la princesse prit l’ânon de la fille et alla porter elle-même les produits à la cour. Pendant que la fille aînée du roi s’occupait de la livraison, l’héroïne s’approcha du tambour à broder de celle-ci et y fit quelques points. La fille du roi en fut si enchantée qu’elle lui proposa de l’engager comme brodeuse.
Le lendemain, la princesse apporta une seconde livraison à la cour. Tandis que la fille cadette du roi la prenait en charge, elle continua l’ouvrage de celle-ci. La seconde fille du roi en fut, elle aussi, très impressionnée. Lors de la troisième livraison, la princesse rencontra le fils du roi.
Rencontre négative avec le prince
Après sa longue expérience dans le désert, la princesse a mûri: elle est devenue modeste et humaine, prête à porter du lait et du fromage à la cour du roi avec un petit âne. Dans l’antiquité, l’âne était entre autres l’animal du dieu Saturne qui figure la dépression créatrice, la solitude, le renoncement.
Lorsque la princesse remplace la fille du berger pour livrer le roi, elle montre aux filles de ce dernier ses talents de brodeuse. C’est la première fois qu’elle dévoile ses facultés féminines.
Une femme possédée par le masculin dissimule ses aspects féminins. Certaines femmes s’habillent mal, d’autres ont un comportement masculin pour tenir les hommes éloignés d’elles, pour ne pas les attirer et protéger ainsi leur féminité.
En ce qui concerne la princesse, ce n’est qu’en toute humilité, comme fille de berger, qu’elle peut enfin montrer sa féminité.
Le prince, ébloui par sa beauté, voulut lui faire violence. Sans hésiter, elle arracha une épée du mur et lui trancha la tête. Le roi la fit alors saisir et ordonna de la faire emmurer vivante dans la même tombe que son fils mort.
En se montrant féminine, la princesse attire le fils du roi. Mais celui-ci la considère comme une simple bergère et veut lui faire violence. Il ne voit en elle que la femme objet de désir et non sa vraie personnalité. À l’instar de nombreux hommes, ll est primaire et pulsionnel. Lorsqu’un tel homme voit une femme solitaire, intéressée par les choses de l’esprit, il ne la comprend pas et considère qu’une sexualité primaire lui est nécessaire. Ce genre de situation survient encore de nos jours dans des pays où une femme ne peut pas se promener seule sans être harcelée par des hommes qui ne comprennent pas sa solitude et sa vie intérieure - voire dans des pays "civilisés".
Lorsqu’une femme est en proie à ce type d’attitude et de harcèlement, cela signifie qu’elle a intériorisé une figure masculine primaire qui "pense" la même chose à son sujet et lui attire de tels problèmes. Quand le masculin primaire s’éveille ou se constelle dans l’inconscient de la femme, elle attire ce genre d’homme et de situation.
La réaction de la princesse à la violence du prince est impulsive et radicale, typiquement masculine: elle le décapite avec une épée.
Psychologiquement, cela signifie qu’elle élimine tout ce qui entrave ses intérêts et sa vocation, et ce qui pourrait l’entraîner dans une vie de femme ordinaire. Il y a beaucoup de fierté et d’orgueil dans une telle attitude.
Le fait de "couper la tête" signifie également qu’elle se débarrasse de ses aspects intellectuels et mentaux excessifs et qu’elle est sur la bonne voie.
Epreuve - Dans la tombe du prince
Après 3 jours passés dans la tombe, la princesse aperçut un serpent avec ses petits qui s’apprêtaient à dévorer les yeux du mort. Elle tua les petits avec ses sabots. Mais la mère-serpent alla aussitôt chercher une herbe avec laquelle elle les ressuscita. L’héroïne alors assomma également la mère, s’empara de l’herbe et ressuscita le fils du roi. Puis la princesse étala sa nappe magique et ils mangèrent, burent et chantèrent. Ils vécurent ainsi comme frère et sœur.
Dans cette situation, la princesse est à nouveau coupée de la vie, et se retrouve dans une obscurité totale, quasi morte. C’est une situation qui réveille des couches de l’inconscient très profondes: et cela se manifeste par l’apparition de la mère-serpent et de ses petits.
Le serpent salutaire
Le serpent a une symbolique riche et universelle: il apporte à la fois la vie et la mort; il est détenteur de l’immortalité dans de nombreuses mythologies; dans l’antiquité, on voyait l’univers comme un cercle entouré par un serpent qui se mord la queue et qui est le fameux serpent OUROBOROS. Celui-ci forme un mandala et symbolise la totalité de l’être.
Dans ce conte, la serpente possède la plante magique capable de faire renaître les morts. En Grèce, le serpent était l’animal d’Asclépios (Esculape), le dieu de la médecine; il est encore de nos jours l’emblème des médecins et des pharmaciens, enroulé autour d’un bâton, qu’il ne faut pas confondre avec le caducée qui était le bâton de Hermès autour duquel s’enroulaient deux serpents. Si l’on remonte encore dans le temps, le bâton et le serpent étaient les attributs des dieux sumériens et phéniciens de la médecine.
Plus tard, le serpent représentera le principe de l’esprit parce qu’il est "le plus rapide des animaux" selon Philon d’Alexandrie. Dans la Genèse, le serpent est un animal tentateur, un esprit du mal, et les chrétiens ont fait de lui une image du diable appelé d’ailleurs "le vieux serpent".
Le serpent symbolise donc des opposés extrêmes: esprit/matière, vie/mort, bien/ mal. Psychiquement, il représente la couche la plus profonde de l’inconscient, où se rencontrent la psyché et le système nerveux sympathique et ses fonctions physiologiques. En tant qu’animal à sang froid, le serpent est "inhumain", donc une figure de la nature capable du meilleur et du pire.
Dans ce conte, la serpente est d’abord mauvaise puisqu’elle veut dévorer les yeux du prince, les yeux qui représentent la lumière de la conscience. Mais la princesse parvient à lui dérober la plante qui permet de renaître, le trésor spirituel, le savoir magique du serpent.
Dans la tombe, la princesse fait donc une expérience intérieure fondamentale: celle de la vie et de la mort, où les opposés se rejoignent. Elle prend conscience du sens profond de la vie. Sa philosophie et sa spiritualité étaient encore trop intellectuelles, mais à partir de ce moment, elles deviennent une sagesse et une connaissance authentiques de la vie.
Grâce à la plante de la serpente, elle fait renaître le prince, et ils continuent de vivre dans la tombe comme frère et sœur. Cela signifie que le prince a changé lui aussi: il n’est plus cet homme qui ne vit que par l’intellect et la sexualité, un homme sans cœur.
La perte de sa tête, qui représente l’intellect et le mental, lui a permis de découvrir son cœur et son âme, sa dimension féminine. Il se comporte désormais sans violence avec la princesse, avec compréhension et loyauté.
En tant que compagnon, il comprend l’aspect spirituel et la personnalité de sa compagne, et ne la considère plus comme un simple objet sexuel. Pour la princesse, il représente une nouvelle figure masculine, un esprit intérieur qui a cessé d’être un ennemi et est devenu capable de comprendre les valeurs féminines du cœur et de la vie.
Libération
Une année plus tard, des paysans entendirent par hasard du bruit dans la tombe et en informèrent le roi. La tombe fut ouverte et on en fit sortir le prince vivant. Le roi voulut laisser la princesse dans la tombe, mais le prince le persuada de la sauver. Puis le prince se fiança à la princesse. Celle-ci le mit en garde contre le danger qu’il y aurait à parler d’elle avec malveillance. Le temps passa.
Fiançailles
Ils finissent tous deux pas être sauvés par le roi, et se fiancent. Mais la princesse continue de dissimuler ses origines à son fiancé et lui demande de respecter son identité, parce qu’elle est censée être la fille d’un modeste berger.
Un jour, elle dit à son fiancé: "Allons faire un tour en carrosse." En partant, elle demanda à la fille aînée du roi ce qu’elle devait lui rapporter. Celle-ci lui répondit d’un ton moqueur: "Un peu de crottin de cheval!" La cadette se moqua d’elle de la même manière. La reine- mère, par contre, la pria de lui rapporter un mouchoir brodé d’or pour les fiançailles et le roi, la bague de fiançailles.
Les deux sœurs du prince ne la ménagent pas: elles sont très moqueuses en parlant de crottin. L’image du crottin est amusante car le crottin de cheval "chauffe" en raison du processus de fermentation. Il était utilisé en alchimie pour conserver à une chaleur constante l’alambic où devait s’accomplir le mariage symbolique du roi et de la reine. Sans le savoir, inconsciemment, les filles du roi font allusion au futur mariage de la princesse et du prince.
Ils partirent enfin. C’était la princesse qui conduisait le carrosse. Elle se rendit dans son pays natal. Or, il se trouva que sa mère et son père se promenaient dans les environs, dans un carrosse en verre. L’héroïne dirigea son carrosse contre celui de ses parents et le brisa en mille morceaux. Son fiancé s’en indigna terriblement. Mais sa mère s’écria: "Ma fille, où étais-tu?" Elle répondit: "J’étais dans le désert." Et sa mère rajouta: "Lorsqu’il pleuvait, où t’abritais-tu? - Sous un rocher." C’est alors que, comprenant qu’elle était une princesse, son fiancé lui dit: "Tu as eu raison de me trancher la tête. Je te prie de me pardonner."
Réconciliation avec les parents
Avant de se marier et d’accomplir sa destinée, la princesse doit encore se confronter à ses parents avec lesquels elle n’a pas réglé ses problèmes. Elle va vivre son conflit avec eux sous la forme d’une collision émotionnelle et affective.
Ses parents voyagent dans un carrosse de VERRE: le verre est un isolant affectif. On comprend pourquoi le père vit dans un tel isolement, sinon il n’aurait pas élevé sa fille de cette manière, voulant en faire une philosophe. Mais la mère elle aussi vit dans l’isolement et la dureté représentés par le verre.
Psychologiquement, un complexe-père positif chez une fille est souvent accompagné d’un complexe-mère négatif, c’est-à-dire d’un refus de la mère, d’un refus de sa propre féminité. Et la princesse souffre encore de cette relation négative.
Lorsque qu’il y a collision avec le carrosse de verre des parents, la mère redevient humaine et maternelle et interroge sa fille avec prévenance: en fait, dans une telle situation, il fallait briser le verre, "BRISER LA GLACE" entre la princesse et ses parents.
Le fils du roi découvre alors la véritable identité de sa fiancée, qu’elle est une princesse, et lui demande sincèrement de lui pardonner. À partir de ce moment, leur union peut se réaliser sans entrave.
Ils retournèrent alors à la cour du fiancé, rapportèrent l’anneau au roi et le mouchoir brodé d’or à la reine. À ses belles-sœurs, la princesse offrit des fleurs et des bijoux, en rajoutant un peu de crottin de cheval dans la corbeille. Puis ils se marièrent en grande pompe.
Maturité et unité
Le conte s’achève avec deux familles royales pour la célébration du mariage.
La première est composée de trois personnes: le roi, la reine, la princesse. La seconde de cinq personnes, le roi, la reine, le prince et ses deux soeurs. Cela donne 8, c’est-à-dire un chiffre qui symbolise l’accomplissement de la totalité.
À ce dernier stade, la princesse peut se permettre de se moquer de ses belles-sœurs avec le crottin de cheval qu’elle mélange à ses cadeaux. Elle n’est plus hypocondriaque et dépressive et elle a acquis de la sagesse et de l’humour.
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