LE MYTHE D'OEDIPE

DE LA TRANSGRESSION À LA LIBÉRATION

L'histoire d'un enfant blessé et abandonné

 

"Les mythes sont, à l'origine, des révélations de l'âme préconsciente, des affirmations involontaires au sujet de faits psychiques inconscients et rien moins que des allégories d'événements physiques."

"Ils ont une signification vitale." (CG Jung)

 

Grecs antiques

 

Résumé d'après la trilogie de Sophocle: "Oedipe-roi", "Oedipe à Colone" et "Antigone

(avec quelques extraits d'"Oedipe sur la route" de H. Bauchau)

 

Laïos et Jocaste étaient roi et reine de Thèbes. Inquiets de ne pas avoir d’héritier, ils allèrent consulter l’oracle de Delphes qui leur prédit que le fils qui leur naîtrait tuerait son père et épouserait sa mère. A sa naissance, Laïos et Jocaste décidèrent de l’abandonner à lamort sur le mont Cithéron, après lui avoir percé les chevilles avec une aiguille et les lui avoir liées avec une lanière, d’où son nom d’Œdipe (qui signifie "pieds enflés"  ou "celui qui boite").

Le serviteur chargé de l’exposer et de le faire mourir le confia à un berger corinthien. Celui-ci le remit au roi et à la reine de Corinthe, Polybos et Périboéa, qui étaient sans enfant et l’adoptèrent, l’élevant comme leur propre fils jusqu’à son adolescence.

Un jour, le jeune Œdipe apprit d’un jeune Corinthien qu’il n’était qu’un enfant trouvé. Intrigué par cette révélation, il consulta l’oracle de Delphes qui lui répéta l’horrible prédiction faite à Laïos et Jocaste: "Tu tueras ton père et tu épouseras ta mère."

Persuadé que Polybos et Périboéa étaient ses parents véritables, Œdipe fuit aussitôt sa destinée tragique. Sur le chemin de Thèbes, il rencontra, dans un défilé étroit, à la croisée de deux chemins, un vieillard sur son char. Ils se disputèrent le passage et Œdipe tua le vieil homme qui n’était autre que son père Laïos.

L’entrée dans la cité de Thèbes était alors menacée par un monstre terrible, le sphinx : celui-ci, assis sur un rocher, posait une énigme à tout passant et le dévorait si ce dernier n’en trouvait pas la réponse. Il avait été envoyé à Thèbes pour la punir notamment de la faute de Laïos qui avait aimé Chryssipos d’une passion contre nature.

Lorsque Œdipe arriva, le sphinx lui demanda: "Quel est l’animal qui a quatre pieds le matin, deux à midi et trois le soir? – C’est l’homme, répondit Œdipe, dans son enfance, il se traîne sur ses pieds et ses mains, à l’âge adulte, il se tient debout, dans sa vieillesse il s’aide d’un bâton." Dépité d’avoir été déjoué, le sphinx se jeta dans l’abîme et Thèbes fut ainsi délivrée. Œdipe entra dans la ville en vainqueur, fut proclamé roi et épousa la reine Jocaste qui était promise au sauveur de Thèbes. Ils eurent quatre enfants: deux frères jumeaux, Etéocle et Polynice, et deux filles, Antigone et Ismène.

... Suite du résumé Oedipe texteOedipe texte

 

- ÉLÉMENTS D'ANALYSE -

 

♦ La tragédie d’Œdipe est connue grâce à Freud qui en a fait le "complexe d’Œdipe".

Il s'agit d'un problème qu’aurait l’enfant avec ses parents et qui viendrait de l’enfant, ce qui est très culpabilisateur pour l’enfant; Freud s’en est servi pour étoffer sa théorie psychologique de la sexualité, et il n’a pris en compte que l’épisode où Œdipe tue son père et épouse sa mère; il l’a universalisé sans le replacer dans son contexte historique, mythologique, anthropologique; il n’a considéré que l’attirance de l’enfant pour sa mère qui le pousse à tuer son père pour prendre sa place; mais, il y a beaucoup d’autres choses à dire sur l’inceste et sur ce mythe complexe et passionnant.

L’inceste a d’abord un sens et une symbolique qui ne se limitent pas à un acte sexuel.

DANS LES MYTHES ANTIQUES, l’inceste est un "inceste sacré" ou un "mariage sacré": le sens de ces relations incestueuses n’a rien à voir avec notre conception actuelle de l’inceste. Le fils qui s’unit à la "déesse-mère" ou à la "déesse-sœur" s’unit à la "déesse tutélaire", celle qui a tous pouvoirs sur l’humain: il gagne ainsi sa légitimité en tant que roi; comme  dans les cultes des déesses antiques, cet inceste a une dimension initiatique et n’est pas simple attirance amoureuse ou érotique.

Dans le mythe d'Oedipe au contraire, le mariage avec la mère inscrit Œdipe dans la réalité humaine, où chaque acte doit être assumé, sur le plan individuel et collectif, où tout n’est pas permis, où il y a des interdits, des tabous à ne pas transgresser. Pour la société, Œdipe est meurtrier et incestueux, donc coupable. L'’inceste était une "horreur" dans la société grecque de l’époque, comme dans la plupart des sociétés d’ailleurs puisqu’il est un tabou universel.

 

♦ La lignée d’Œdipe

Elle est déjà marquée par la violence et la déviation, les erreurs et les déviations, un péché "originel" qu'Oedipe devra assumer et sauver.

Le grand-père d’Œdipe s’appelle "Labdacos" (lignée des Labdacides), qui signifie "boiteux" (il préfigure Œdipe): il est mort quand son fils Laïos n’était encore qu’un bébé ; la lignée est coupée et un autre roi règne.

Laïos - son père - signifie "gauche, gauchi, perverti": jeune, Laïos doit fuir Thèbes et il se réfugie chez un roi voisin, Pélops; il tombe très amoureux de son fils Chrysippe; il l’enlève et le ramène à Thèbes; Chrysippe se suicide; certains disent qu’il avait honte d’avoir été violé, d’autres que la femme de Pélops l’a tué pour que ses propres fils héritent du royaume à sa place.

En raison de cette malédiction, le couple Laïos et Jocaste n’ont jamais été un vrai couple: comme ils ne peuvent pas avoir d’enfant, la naissance d’Œdipe est un accident. 

Œdipe: ce nom d’"Oedipous" signifie "pied enflé" ou "pied gonflé" ou "celui qui boite", ce qui renvoie au problème du pied dans cette famille; "pous" signifie "pied", "oïdos" signifie "enflé", mais "oïda" signifie aussi "je sais"; il y a un jeu de mots sur le nom d’Œdipe; Œdipe est aussi "celui qui sait" ou celui qui doit savoir, prendre conscience; pour intégrer cette boiterie qui frappe sa lignée, Œdipe doit apprendre à se connaître.

Le problème œdipien est donc une quête de soi et de son identité.

Dans cette famille "boiteuse", c’est Œdipe qui va faire le travail de prise de conscience, comprendre et intégrer ce qui a été perverti; en faisant une enquête, une "analyse", il va découvrir sa véritable identité; cela va le conduire DE LA TRANSGRESSION VERS LA LIBÉRATION, la RÉDEMPTION.

 

Temple grec dans la nuit

 

♦ Enfance d'Œdipe 

La première chose importante à relever est qu’ŒDIPE EST UN ENFANT NON-DÉSIRÉ, ABANDONNÉ PAR SES PARENTS QUI VEULENT SA MORT: une lourde malédiction pèse sur lui, par l’annonce d’un oracle et en raison du crime de son père Laïos.

Pour Jung, la figure de l’enfant est essentielle et ambivalente: l’enfant est à la fois un archétype du SOI, de la totalité, du divin, et représente aussi ce qui est très fragile et vulnérable. "L’archétype de l’enfant exprime l’entité de l’homme. L’enfant est l’abandonné, le délaissé et en même temps le divinement puissant; il est le début insignifiant, douteux, et la fintriomphante. L’éternel enfant dans l’homme est une expérience indescriptible ;un état d’inadaptation, un défaut et une prérogative divines; en dernier lieu, un impondérable qui fait la valeur ou la non-valeur d’une personnalité." 

Donc, à peine né, Œdipe est déjà condamné à la mort par ses parents: ils l’attachent par les pieds et l’abandonnent dans la nature.

Le mot "pied" est aussi en lien avec le mot "enfant": "pous" signifie "pied", mais "païs" signifie "enfant"; pédiatre et podologue ont la même origine; soigner ses pieds, c’est aussi soigner l’enfant en soi; c’est cet enfant abandonné et blessé qu’Œdipe devra découvrir, soigner et guérir; ce que Bauchau montre de manière poignante dans son roman.

Les pieds représentent aussi le lien avec la terre, avec la réalité: "avoir les pieds sur terre"; chez Œdipe, la relation avec la réalité, la terre, la mère est pervertie et blessée dès le départ, d’où son besoin excessif de compensation, le besoin de retourner en arrière, de s’unir à la mère, de devenir le "fils/amant" de la "déesse-mère", de s’identifier au héros, de devenir un héros, ce qui est à l'origine de la névrose.

Œdipe a beau être recueilli par un roi et une reine, il reste un enfant fragile, abandonné par ses parents qui n’ont pas pu et su assumer leurs problèmes: on peut se demander ce qui serait arrivé s’ils avaient gardé cet enfant malgré l’oracle; l’oracle se serait-il réalisé si l’enfant avait été accepté? Parfois, pour éviter le pire, on court au-devant du malheur, alors que si on n’avait pas cherché à l’éviter à tout prix, il ne serait peut-être pas arrivé.

MAIS ON NE PEUT PAS FUIR ET CHANGER SA DESTINÉE: on peut seulement en trouver le sens, l’accepter et l’assumer; une phrase de Jung l'exprime avec une grande justesse: "Ce qu’on ne veut pas savoir de soi finit par arriver de l’extérieur comme un destin"; si on se fuit, si on se trompe soi-même, ce que l’on fuit finit toujours par nous rattraper et nous arriver de l’extérieur, d’une manière ou d’une autre; on est alors confronté à ce que l’on fuit et on doit y faire face pour s'en libérer.

 

♦ Fuite d'Œdipe après avoir consulté l’oracle

Il fuit ses parents adoptifs qu’il croit être ses parents biologiques: et c’est alors qu’il rencontre son vrai père, Laïos.

Sur le chemin de Thèbes, dans un défilé étroit, à la croisée de deux chemins, il rencontre un vieillard sur son char. Ils se disputent le passage et se battent. Oedipe tue son père Laïos.

 

♦ Arrivée triomphale d'Œdipe à Thèbes

La ville est menacée par un monstre terrible, le sphinx: assis sur un rocher à l’entrée de la ville, il pose une énigme à chaque arrivant et le dévore si celui-ci ne trouve pas la réponse.

 

Sphinx à la porte de Thèbes

Le sphinx a été envoyé à Thèbes pour la punir du "crime de Laïos". Lorsque Œdipe arrive, le sphinx lui pose son énigme: "Quel est l’animal qui a quatre pieds le matin, deux à midi et trois le soir? – C’est l’homme, répond Œdipe, dans son enfance, il se traîne sur ses pieds et ses mains, à l’âge adulte, il se tient debout, dans sa vieillesse il s’aide d’un bâton."

Dépité par la réponse juste d’Œdipe, le sphinx se jette dans le vide et Thèbes est délivrée. Œdipe entre dans la ville en vainqueur, est proclamé roi et épouse Jocaste qui est promise au vainqueur du sphinx. Ils vont avoir quatre enfants: deux frères jumeaux, Étéocle et Polynice, et deux filles, Antigone et Ismène.

Pourtant, Œdipe semble échapper à cette destinée en trouvant la réponse juste et en causant la mort de la sphinx, mais c’est un piège fatal.

Que signifie cette énigme? D’une part, elle est très facile, presque une devinette pour enfants. Œdipe, dans son orgueil, surestime sa propre intelligence en trouvant la réponse aussi facilement. D’autre part, cette énigme concerne la question fondamentale qui obsède Œdipe: "qui suis-je"?

Cette énigme concerne la manière dont l’homme marche, avance, progresse dans la vie, à travers les trois âges de la vie (enfance, maturité, vieillesse): on retrouve ici la marche et le rapport à la terre, à la réalité, aux pieds; "dipous" signifie "homme à deux pieds"; cette énigme dit aussi que l’homme doit avancer naturellement en fonction de son âge; l’homme est le seul "animal" dans la nature qui se transforme radicalement en vieillissant, qui change de démarche en fonction de son âge, qui évolue dans sa manière d’être dans le monde, dont la conscience évolue.

La SPHINX est un avertissement, une image prémonitoire de la mère: la véritable énigme qui se cache derrière la première est "qui suis-je, moi la sphinx?"

La sphinx est un avatar de la mère castratrice Jocaste: d’ailleurs, elle se tue comme Jocaste qui va également se tuer.

 

♦ Le thème de l’INCESTE

L’inceste n’est pas un simple "désir sexuel" vis-à-vis de la mère ou du père au sens "freudien" du terme.

Dans les sociétés traditionnelles et antiques, c’est une union avec le "semblable", qu’on appelle la "libido de parenté" : ces sociétés sont endogames, à la différence de l’exogamie qui a été instaurée ensuite dans la plupart des sociétés; dans une société endogame, on se marie entre soi et on ne va pas chercher dans une autre tribu des compagnons ou compagnes.

L’inceste est aussi un PUISSANT DÉSIR DE RENAISSANCE, DE RENOUVELLEMENT, DE TRANSFORMATION: c’est pourquoi de nombreux héros descendent en enfer et y retrouvent leur mère pour s’en libérer définitivement (Ulysse, Héraclès, Énée, Thésée...); ce voyage représente la réunion suivie de la séparation définitive avec la mère qui permet de renaître à soi-même; le héros peut alors revenir transformé de ce voyage intérieur, avec de nouvelles possibilités de vie.

 

♦ La cité de Thèbes ravagée par la peste

Il est impossible d’enrayer le fléau qui fait de plus en plus de morts. Œdipe consulte l’oracle qui lui répond que la peste est la conséquence du meurtre de Laïos qui n’a jamais été élucidé et dont on ignore le meurtrier. Œdipe lance alors un terrible anathème contre le meurtrier de Laïos, le vouant aux pires châtiments, décidé à chasser cette "souillure" de la cité.

C’est ainsi que commence le premier volet de cette trilogie, "Œdipe-roi": Œdipe va mener l’enquête, questionner, interroger des témoins, et découvrir progressivement sa véritable identité.

Cette enquête fonctionne comme une enquête policière, où l’on doit trouver le coupable: c’est un dévoilement progressif magnifiquement ficelé dans la tragédie – ou plutôt déficelé!

Ce dévoilement ne peut pas être brusque et soudain, car Œdipe est inconscient, il ne fait pas semblant: la tragédie d’Œdipe est une tragédie de l’inconscience et de l’éveil progressif de la conscience de soi; je me cherche, mais qui est ce "je" qui cherche? Œdipe est à la fois le juge et le coupable, l’enquêteur et l’objet de l’enquête, l’analyste et l’analysé.

En menant son enquête, Œdipe va faire son auto-analyse: cela va aboutir à l’effondrement du moi confronté à son ombre, ses illusions, sa toute-puissance, son pouvoir extérieur; l’effondrement est proportionnel au pouvoir du Moi; Œdipe est un roi-tyran puissant, et en cherchant qui il est, il va intégrer son ombre, le "sauvage" en lui; d’ailleurs, il se demande à ce sujet: "suis-je fils de la fortune et homme sauvage?".

Durant cette enquête/analyse, Œdipe tourne sans cesse autour de son complexe principal, de ce qui le fait souffrir, jusqu’à ce qu’il ait la force et le courage de l’accepter et de l’intégrer. Au sujet de ce mouvement autour du complexe principal, Jung dit: "Tout se passe comme si les enchevêtrements personnels et les péripéties dramatiques subjectives qui font la vie et toute son intensité n’étaient que des hésitations, des replis craintifs, presque comme des complications mesquines et des échappatoires"On dit "tourner autour du pot" quand on n’arrive pas à exprimer quelque chose.

 

Les étapes de cette enquête

Créon dit à Œdipe que c’est la sphinx qui a empêché de mener une enquête après la mort de Laïos: c’est un élément intéressant qui suppose que la sphinx, cette figure féminine négative, a empêché la découverte du meurtrier de Laïos et a donc poussé Œdipe dans les bras de Jocaste.

Puis Œdipe fait venir l’illustre devin, Tirésias : comme de nombreux devins grecs, Tirésias est aveugle; il n’a pas besoin du regard "extérieur", parce que son regard " intérieur" est éveillé; c’est le prix à payer pour accéder au divin; cela préfigure la cécité d’Œdipe qui va lui aussi devenir un clairvoyant; Tirésias joue le rôle de l’analyste, du thérapeute.

Les deux hommes se disputent, car Tirésias dit à Œdipe la vérité:

"L’Homme que tu cherches depuis quelque temps, avec toutes ces menaces, ces proclamations sur Laïos assassiné, cet homme est ici même. On le croit un étranger, un étranger fixé dans le pays: il se révélera un Thébain authentique – et ce n’est pas cette aventure qui lui procurera grand-joie. Il y voyait: de ce jour il sera aveugle; il était riche: il mendiera, et, tâtant sa route devant lui avec son bâton, il prendra le chemin de la terre étrangère. Et, du même coup, il se révélera père et frère à la fois des fils qui l’entouraient, époux et fils ensemble de la femme dont il est né, rival incestueux aussi bien qu’assassin de son propre père!"

Mais Œdipe n’est pas encore prêt à entendre la vérité: comme tout analysé, il résiste; il accuse le devin de vouloir sa perte; ce sont toujours les autres ou le monde extérieur qui sont responsables. Œdipe accuse aussi Créon de vouloir sa perte et son trône, par soif de pouvoir.

Ensuite, Œdipe interroge Jocaste sur les circonstances précises et le lieu de la mort de Laïos. 

À ce stade, Œdipe "sait" qu’il a tué Laïos, mais il ne sait pas encore qu’il est son fils.

Un Corinthien arrive alors, un berger, qui lui annonce la mort de son père adoptif Polybe. Œdipe en déduit qu’il ne peut pas être coupable de la mort de son père comme l’avait annoncé l’oracle. Mais il reste l’autre partie de l’oracle concernant l’union avec sa mère.

Jocaste commence à deviner la vérité: elle a peur, et elle déculpabilise Œdipe et le détourne de lui-même.

Jocaste est l’épouse-mère inconsciente qui refuse d’assumer la vérité:  il y a de nombreuses femmes qui refusent de devenir conscientes en préférant manipuler leurs époux ou "fils-amants" pour les garder et garder leur pouvoir sur eux; l’épouse-mère est une figure puissante et attractive, et de nombreux hommes sont fascinés par elle; ils préfèrent l’épouse-mère à une vraie compagne, une femme complète qui pourrait les aider à devenir plus conscients et virils, à se réaliser.

Pour un homme, s’unir à une épouse-mère est une régression, un retour vers la mère: c’est rassurant, sécurisant, sans risque de changement et de transformation; car avec la mère, tout reste toujours semblable, dans une éternelle enfance, le "vert paradis des amours enfantines"... La mère ne le quittera jamais, ne l’abandonnera jamais; c’est la sécurité absolue... C’est encore bien souvent le schéma dominant du couple actuel.

Le BERGER est un personnage modeste qui a une fonction importante dans la découverte de la vérité: il n’est pas dans la toute-puissance du héros, du "roi"; il représente l’état d’humilité nécessaire à la découverte et à l’acceptation de soi-même; il a une fonction de guide.

Le berger corinthien révèle à Œdipe qu’il n’est que le fils adoptif de Polybe et de Périboéa, que c’est lui qui l’a trouvé attaché par les pieds, qui l’a libéré puis confié au roi et à la reine de Corinthe. Œdipe l’interroge sur ceux qui ont commis cet acte horrible et apprend qu’un autre berger, de la maison de Laïos, lui a confié l’enfant. Œdipe se doute alors de la vérité, malgré les résistances de Jocaste qui a tout compris et fuit dans le palais.

Sur ses entrefaites, arrive l’autre berger, l’ancien serviteur de Laïos. Œdipe le questionne en présence du berger Corinthien. Il reconnaît avoir remis l’enfant de Laïos et de Jocaste au berger Corinthien et l’avoir reçu de Jocaste elle-même.

 

♦ LA VÉRITÉ ÉCLATE

Œdipe sait maintenant qui il est et ce qu’il a fait. Et les conséquences sont terribles:

- Jocaste se pend: elle ne peut pas assumer la vérité.

- La cité de Thèbes perd à la fois son roi et sa reine, et est précipitée dans le déséquilibre et le chaos.

- Les enfants d’Œdipe et de Jocaste sont désunis et en conflit.

Le seul à profiter de la situation est Créon, frère de Jocaste: il prend le pouvoir sur Thèbes; c’est le retour et la victoire du père tyrannique tout- puissant.

Œdipe sombre dans le désespoir et la culpabilité, et il se crève les yeux: à ce stade, il n’a pas encore intégré son ombre, ce qu’il a découvert le concernant; il est en proie à la culpabilité et il se détruit; c’est un renversement total dans sa vie, comme dans une analyse où on peut tomber très bas en découvrant certaines choses et faire une dépression.

Que signifie le fait de se crever les yeux, de sacrifier sa vue?

L’aveuglement d’Œdipe peut avoir deux sens opposés mais complémentaires: d’une part, il ne veut pas voir l’insupportable réalité et la nie en devenant aveugle, d’autre part, il a enfin la force de se tourner vers l’intérieur.

L’aveuglement est un passage obligé: il lui permet de passer de la victoire extérieure, avec la toute-puissance du MOI à la victoire intérieure, la victoire sur soi-même; cette victoire sur soi passe par l’acceptation de la défaite du MOI, cet état d’impuissance qu’on vit lorsque le moi s’effondre, quand on se débarrasse de ses illusions, et que l'on s'abandonne à ce qui nous dépasse, le SOI.

En tant qu’être humain, Œdipe n’a pas encore gagné sa véritable souveraineté: IL DOIT ENCORE FAIRE UN LONG CHEMIN AVANT D’INTÉGRER SA DIMENSION ROYALE INTERIEURE.

Œdipe/Oidipous est aussi en lien avec "je sais" ("oïda"): Œdipe aux "pieds gonflés" est aussi celui qui "sait"; Tirésias dit que "vit en lui la force du vrai"; Œdipe est aussi celui qui veut connaître sa vérité et l’assumer jusqu’au bout.

 

♦ Œdipe chassé de la ville comme un BOUC ÉMISSAIRE ou une victime sacrificielle. 

Chasser le "bouc émissaire" d’une ville était un rite de purification courant en Grèce, surtout à Athènes: le bouc émissaire était l’incarnation du mal, de l’ombre collective, victime de l’ostracisme que l’on trouve partout; parfois 2 boucs émissaires étaient expulsés.

Après avoir été une bête traquée et rejetée, Œdipe mourra de manière surnaturelle: mais avant, il doit rompre avec le passé, faire une longue marche vers sa libération, sa déculpabilisation et l’acceptation de son humanité et de sa vulnérabilité.

À la fin de ce parcours, Œdipe dira lui-même avec une lucidité poignante: "C’est quand je ne suis plus rien que je deviens un homme".

Œdipe devient donc un exilé, un errant, un mendiant: l’humilité est le prix à payer pour devenir lui-même, un clairvoyant; en marchant, il va retrouver la rectitude intérieure, et se libérer de la boiterie de sa lignée.

Grâce à cette longue marche, les "pieds gonflés" et la "boiterie" d’Œdipe vont guérir: il va retrouver son équilibre, sa droiture, sa rectitude; par ce contact permanent avec la terre, il intègre son inconscient et l’archétype de la mère, et il trouve SA terre pour s’y enraciner et mourir.

Ce chemin le conduit de THÈBES à ATHÈNES, du nord sombre au sud lumineux: Thèbes est la ville de L’OMBRE, de LA VIOLENCE, de la TRANSGRESSION; ATHÈNES et le SANCTUAIRE DE COLONE représentent la LUMIÈRE, la SPIRITUALITÉ.

Là aussi, on voit qu’Œdipe est différent du héros mythique classique: le héros se BAT pour la victoire ou MEURT comme Jocaste; Œdipe, lui, part sur la route, aveugle, et s’en remet totalement à sa destinée.

Sur le plan psychologique, c’est une attitude juste que de s’en remettre à ce qui nous dépasse: "que ta volonté soit faite", disent les Chrétiens en s’adressant à Dieu. Cette volonté de Dieu est une force que l’on puise dans l’inconscient; quand on se trouve au fond du gouffre, cette attitude d’abandon, de laisser faire, de laisser advenir, peut regénérer, aider à supporter la souffrance; car le moi n’a plus de force et il doit faire appel à plus fort que lui. "Il faut trouver ce qui nous porte quand on ne peut plus se porter soi-même." (Jung)

Œdipe dit: "Que mon destin à moi suive sa route."

 

♦ Départ d'Œdipe, accompagné par Antigone, sa fille-sœur

Même s’il l’en dissuade au départ, Antigone est inflexible et décide de partir avec lui.

 

Oedipe et Antigone

 

Pour Œdipe, marcher a un lien avec le "pied", son identité, sa destinée: il doit arpenter la terre-mère pour "reprendre pied" dans la réalité, retrouver le rythme de la vie, s’éloigner de ce qui le rend boiteux, chercher le lieu de sa renaissance et de sa libération.

Œdipe a besoin d’Antigone pour se libérer de la mère menaçante et intégrer le féminin positif: elle fait partie de ces femmes-guides qui conduisent l’homme vers son accomplissement (comme la Béatrix de Dante ou la Laure de Pétrarque).

Elle est aussi pour Œdipe un "psychopompe" (un guide vers la mort): elle l’accompagne vers sa transformation ultime, la mort à ce qu’il a été.

En quittant Thèbes, Œdipe est encore un homme victime du féminin négatif, de son complexe-mère destructeur: il a été possédé et détruit par des forces inconscientes et en est devenu conscient; il a trouvé son identité; il lui reste à dépasser sa culpabilité, à se pardonner et à découvrir sa dimension divine.

 

♦ L'errance d'Oedipe

La tragédie de Sophocle ne précise pas combien de temps dure l'errance d'Oedipe, car elle doit obéir aux règles d’unité du temps, du lieu et de l’action; mais elle dure longtemps sans doute, toute la dernière partie de la vie d’Œdipe, le temps pour lui de mûrir et de devenir lui-même, un authentique "clairvoyant"; le temps d’atteindre ce troisième âge où l’homme marche à trois pieds.

Dans son roman, Henry Bauchau imagine ce voyage et tous les stades de la transformation intérieure d’Œdipe et Antigone: il montre ce mouvement circulaire de la marche d’Œdipe, qui est aussi celui de la quête de soi, de l’analyse, où l’on tourne autour de nos complexes et de nos problèmes inconscients en s’en approchant progressivement, avant de pouvoir les apprivoiser, les comprendre, les accepter.

Enfin, Œdipe arrive au Sanctuaire de Colone (au nord d'Athènes): c’est un lieu sacré et divin où résident les Euménides "qui voient tout" ; les maîtres du lieu sont Poséidon et Prométhée; on l’appelle "le seuil d’airain" ou le "boulevard d’Athènes" ; c’est un SANCTUAIRE interdit aux humains qui déposent leurs offrandes un peu plus loin; en mettant les pieds dans ce lieu, Œdipe va s’approcher du divin.

Le DIVIN est très important pour les Grecs: aucune destinée ne peut se réaliser sans l’intervention du divin; les Grecs avaient compris cette dimension divine de l’être humain; quoiqu’on fasse, qu’on croie, qu’on pense, même si on se croit athée, le divin et ses archétypes sont un fait psychologique indéniable; quoique l’on croie, les dieux et leurs archétypes vivent en nous, dans notre inconscient, et agissent sur nous, souvent à notre insu.

Les déesses qui règnent sur ce lieu sacré sont les Euménides, des déesses bienveillantes: elles symbolisent la compréhension, le pardon, le dépassement et l’acceptation de soi.

Elles sont les opposées des Érinyes: les Érinyes sont des furies, des démons chtoniens; elles rappellent la sphinx, le féminin obscur qui a marqué Œdipe. Les Érinyes sont les gardiennes des lois de la nature et de l’ordre des choses: elles punissent les erreurs humaines; elles sont des instruments de la vengeance divine contre les hommes qui ont commis des fautes.

Elles sont nécessaires pour prendre conscience de la faute et éveiller la culpabilité: car c’est la culpabilité qui permet l’évolution psychologique vers la conscience; sans culpabilité, on ne progresserait pas; mais il faut dépasser la culpabilité; car si la culpabilité dure, elle mène à l’autodestruction et entrave la maturation.

Les Euménides et les Érinyes représentent l’ambivalence d’Œdipe: à la fois empli de colère, de culpabilité, d’auto-destructivité, de dévalorisation de soi, et de pardon, de compréhension; elles figurent son évolution intérieure, qui va de la colère coupable à une acceptation pleinement assumée de ses actes et de ce qu’il est.

Aller vers LES EUMÉNIDES et les prier SUPPOSE QUE LA CONVERSION INTÉRIEURE A EU LIEU: cela annonce une conversion, une transformation extérieure.

 

Colonnes du Temple

 

♦ Arrivée d'Œdipe et d'Antigone à Colone 

Les habitants leur demandent qui ils sont: ils leur conseillent de ne pas aller plus loin dans ce lieu sacré que les humains ne peuvent profaner. Œdipe leur avoue humblement son identité et ses malheurs en invoquant son état d’inconscience.

Il demande à voir le maître des lieux, le roi d’Athènes, Thésée (fils d’Égée). À ce moment, il voit surgir une jeune femme qui est la sœur d’Antigone, Ismène. Elle lui apprend que ses deux fils, Étéocle et Polynice, se disputent le trône de Thèbes occupé par Créon. Étéocle a enlevé le trône à Polynice et l’a chassé de la ville. Polynice a levé une armée pour lutter contre son frère.

Elle lui révèle aussi qu’un nouvel oracle a proclamé Oedipe "sauveur" et "protecteur" de tout lieu où il s’établirait. Créon lui-même est en chemin et veut le ramener à Thèbes, pour qu’il protège la cité par sa présence.

C’est à ce moment précis qu’Œdipe dit: "C’est donc quand je ne suis plus rien que je deviens vraiment un homme."

Ismène lui répond: "Aujourd’hui, les dieux te relèvent, quand hier ils t’avaient perdu."

Et alors s’opère le RENVERSEMENT EXTERIEUR, la RECONNAISSANCE D’OEDIPE PAR L’ORACLE ET LES DIEUX, la rédemption: à partir de là, Œdipe est libéré et déculpabilisé; l’oracle vient des dieux, donc de l’inconscient; Œdipe a levé le jugement qu’il a porté sur lui-même et s’est  pardonné; celui qui avait besoin d’être sauvé et protégé devient lui-même "sauveur" et "protecteur". Conversion vient de "convertere" qui signifie "se retourner".

Bien sûr, il y a un piège dans cette reconnaissance qui vient de Thèbes, une dernière épreuve pour Œdipe: Créon veut le " récupérer", à présent qu’il est rétabli dans ses droits et peut protéger et sauver tout lieu où il se trouve.

Mais Œdipe refuse de se laisser manipuler et ramener en arrière: il demande aux habitants de ce lieu de l’accueillir; les habitants acceptent et lui demandent de faire une offrande aux déesses dont il a foulé le sol sacré; comme Œdipe n’a pas la force de marcher, c’est Ismène qui va se charger des rituels et des prières aux "Bienveillantes".

Alors survient Thésée, qui fait preuve à l’égard d’Œdipe d’une grande compréhension et hospitalité: Œdipe lui demande de le protéger de Créon, et de l’assister dans sa mort; il "sait" que sa mort est proche; il sait que son chemin s’achève à Colone, dans la terre des "déesses bienveillantes".

"Ce lieu, dit-il, est celui où je triompherai de ceux qui m’ont chassé."

Puis, Créon arrive sur les lieux pour emmener Œdipe: il y a une altercation entre les deux hommes; pour obtenir gain de cause, Créon emmène de force Antigone et Ismène; mais Thésée fait appel à son peuple, pour qu’il poursuive Créon et l’arrête; quelque temps après, Antigone et Ismène reviennent, accompagnées de Thésée qui a réussi à les libérer de Créon.

Enfin, c’est son fils Polynice qui arrive: Œdipe refuse de le voir, mais Antigone parvient à le convaincre de l’écouter; Polynice vient lui demander son aide pour lutter contre son frère Étéocle; Œdipe lui répond avec colère; Antigone a beau tenter de raisonner Polynice pour qu’il fasse la paix avec son frère, rien n’y fait.

Ces rencontres sont importantes: à la fin de son parcours extérieur et intérieur, au moment de sa libération, Œdipe doit encore faire face à son passé qui veut le mêler à des conflits qu’il a dépassés et qui ne le concernent plus; alors il va se mettre sous la protection de son "double" positif Thésée; et c’est à Thésée qu’il va révéler le lieu de sa mort.

 

♦ Oedipe annonce sa fin proche

C'est la fin que les dieux lui ont prédite. Il a reconnu les "signes" annoncés: des coups de tonnerre prolongés, des éclairs répétés... Seul Thésée connaîtra le lieu de sa mort et il ne devra le révéler qu’au moment de sa propre mort, à celui qui en est le plus digne, pour qu’il soit ainsi transmis de "sage en sage".

C’est l’annonce d’une mort surnaturelle, sacrée, d’un accomplissement spirituel: Œdipe va mourir, mais ce faisant il fonde une nouvelle lignée, une "LIGNÉE DE SAGES" qui vont se transmettre le lieu sacré de la transformation, de la mort-renaissance.

Puis Œdipe conduit Thésée et ses filles jusqu’au seuil d’airain. Il s’arrête sur l’un des chemins qui partent de ce point; il ôte ses haillons et ses filles le lavent et le revêtent du vêtement rituel; des coups de tonnerre retentissent; elles tombent à ses pieds en pleurant; il leur dit encore des tendres paroles, tous trois sanglotent.

Soudain, une voix puissante s’élève dans le ciel. Œdipe demande alors à Thésée de le suivre; aussitôt après, Œdipe disparaît; Thésée est debout, seul, la main au front, comme s’il avait assisté à un spectacle effrayant. Qui a fait disparaître Œdipe? Il est parti sans plaintes, sans souffrance, mais en plein "miracle".

Thésée a été choisi pour connaître le secret de la mort d’Œdipe, la clé du mystère: le secret de la vie et de la mort, de la renaissance; on ne peut rien en dire de plus, c’est un mystère absolu...

Œdipe meurt donc de manière surnaturelle et miraculeuse: son corps disparaît sans laisser de trace.

Pour le héros "humain" qu’est Œdipe, cette mort est un accomplissement: il s’unit ainsi à LA TERRE-MÈRE, mais cette union n’est plus "incestueuse" ni régressive; Oedipe est devenu le "DIVIN MENDIANT", comme on l’appelle.

Les êtres humains comme Œdipe ne voient pas ce qui les fait souffrir: c’est en travaillant sur leur "aveuglement" par la descente en eux, qu’ils parviennent à la conscience; mais pour cela, le "sacrifice" du MOI et de ses ambitions est nécessaire; Œdipe a dû sacrifier son destin royal, son pouvoir, sa toute-puissance en tant que roi; il a sacrifié sa "mère" (biologique); il a sacrifié ses yeux, son regard extérieur, sa vision ordinaire du monde, et il a sacrifié la poursuite de sa lignée, la transmission qui s’arrêtera avec lui puisque ses enfants vont mourir, sauf Ismène, qui n’a qu’un rôle de figuration dans ce mythe.

Mais il a fondé une autre lignée, une lignée spirituelle.

 

♦ L’Œdipe freudien

Nous sommes loin de l'Oedipe freudien: ce mythe représente la destinée humaine, le chemin parcouru entre la malédiction initiale, la faute originelle, la quête de son identité et la libération, la renaissance spirituelle.

Sur un plan psychologique, un enfant qui n’a pas été désiré par ses parents, qui a été abandonné et condamné par eux, est d’abord une victime: il reste dans son inconscient des traces de ces débuts effrayants; et il est naturel qu’il ait envie de prendre sa revanche, de tuer son père, de détruire sa mère; ces désirs vont provoquer une terrible culpabilité en lui; il va refouler ce qui lui est arrivé jusqu’à ce que la névrose se déclare; il devra alors faire un travail sur lui pour se libérer de sa culpabilité de ne pas aimer ses parents, d’avoir souhaité leur mort; car il n’est pas coupable. Les vrais coupables sont ses parents.

L’enfant n’est jamais coupable: l’enfant n’a pas de désirs vis-à-vis de ses parents; il a seulement besoin d’amour.

Le "complexe d’Œdipe" serait plutôt un complexe d’abandon, le complexe de "l’enfant malheureux" dont parle Henry Bauchau.

 

♦ ANTIGONE 

Antigone joue un rôle fondamental: sans elle, Œdipe n’aurait pas pu intégrer son féminin positif; on a un peu négligé le rôle d’Antigone dans le chemin initiatique d’Œdipe, mais les romantiques allemands l’ont revalorisée, et le philosophe Hegel dit d’elle qu’elle est " la plus noble figure qui soit apparue sur la Terre".

Antigone fait le même chemin qu’Œdipe: elle est aussi radicale et " intraitable" que son père et elle est prête à donner sa vie pour parvenir à ses fins. 

"Je suis de ceux qui aiment, non de ceux qui haïssent." dit-elle.

 

 Après la mort d’Œdipe

Antigone retourne à Thèbes, où les prédictions d’Œdipe se sont réalisées: Étéocle et Polynice se sont entretués dans leur lutte fratricide pour le pouvoir.

Créon accepte d’honorer la dépouille d’Étéocle, mais refuse tout rituel de mort et toute sépulture à Polynice: celui-ci doit être livré aux oiseaux et aux animaux sauvages; Antigone prie Créon de lui donner la permission d’enterrer ce frère qu’elle aime tant, mais il refuse.

Aussi, elle décide d’enterrer elle-même son frère dans le sable, pour que son corps ne soit pas la proie des rapaces: quelque temps après, un garde découvre Antigone et l’emmène devant Créon; celui-ci est furieux; il la traite de "fille intraitable d’un père intraitable"! Et il la condamne à être enterrée vive dans une caverne. "Ce n’est pas une femme qui fera la loi dans sa cité ", dit-il.

Par ailleurs, Antigone est la fiancée du fils de Créon, Hémon: celui-ci supplie son père de l’épargner, mais Créon refuse; en roi patriarcal et tyrannique qu’il est, il est fou de rage à l’idée qu’une femme transgresse sa loi.

Mais Créon est mis en garde par le devin Tirésias et les oracles: il décide donc de revenir sur sa sentence de mort; et il arrive trop tard; dans la caverne où il l’a fait enfermer, il trouve Antigone morte; son fils se donne la mort devant ses yeux pour n’avoir pas à retourner sa violence contre son père. En rentrant au palais, on lui annonce la mort de sa femme, de désespoir d’avoir perdu son fils. Le tyran comprend alors ses fautes et son manque de sagesse.

On a vu en Antigone la fille sacrifiée qui est trop attachée à sa famille, jusqu’à donner sa vie pour elle.

Pour mieux la comprendre, il faut comprendre les rapports familiaux et humains chez les Grecs: les sentiments personnels et religieux sont indissociables; l’affection réciproque entre parents et enfants, entre frères et sœurs, correspond à une forme d’amour appelée "philia".

La révolte contre Créon reste une manière pour Antigone d’affirmer son identité et d’être l’authentique fille/sœur d’Œdipe: d’ailleurs, elle est devenue une figure archétypique au même titre qu’Œdipe, alors qu’Ismène et Jocaste restent des personnages féminins secondaires.

Antigone réalise son indépendance dans un nouvel équilibre qui n’est pas une régression ou une autodestruction: sa mort peut être aussi le symbole d’une renaissance, d’un passage à un état supérieur et une nouvelle vie, car elle ne veut pas d’Hémon et d’une vie de femme "ordinaire".

Les auteurs modernes comme Anouilh ou Cocteau l’ont vue comme une rebelle qui s’inscrit dans la démesure, car elle veut dominer le tyran Créon et transgresse sa loi: elle est plutôt semblable à une femme moderne qui se bat contre le pouvoir masculin, une féministe peut-être, mais une féministe inspirée par l’amour, la compassion.

 

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Après avoir exploré ce mythe, ses personnages, ses figures, ses symboles, on comprend qu'il est bien au-delà des limites étroites où Freud et, après lui, ses continuateurs, l'ont confiné. Et lui redonner ses lettres de noblesse, sa place au sein de la pensée contemporaine comme témoignage du destin, mystérieux, souvent absurde, toujours inattendu, de l'être humain. Généré à la fois par son appartenance à une lignée familiale, ses choix personnels et son appartenance à l'humanité.

 

Oedipe et Sphynx

Date de dernière mise à jour : 24/02/2022