Destin de femme: Initiatrice et souveraine - "La princesse-chatte"
- Par kleiberpat
- Le 19/05/2020
- Dans Que nous révèlent les contes et mythes?
ÉLÉMENTS D’ANALYSE DE "LA PRINCESSE-CHATTE" (conte roumain)
La "Princesse chatte" est un conte si extraordinaire et complexe qu’il contient des éléments qu’on ne trouve nulle part ailleurs.
L’on y découvre le chemin initiatique du féminin blessé qui se réapproprie sa féminité et sa souveraineté, ainsi que la manière dont il se libère d’une situation catastrophique, à la fois intérieure et extérieure, et la réalisation de l’union entre l’homme et la femme, celle de l’unité entre deux royaumes problématiques. Enfin, un couple blessé et "handicapé" est libéré et sauvé.
Au début, deux royaumes différents et séparés se trouvent dans une situation qui ne mène nulle part. Is doivent se rencontrer et s’unir.
Lorsqu’il y a deux royaumes dans un conte, cela signifie que quelque chose ne fonctionne pas dans le royaume principal. Une réunion de ces royaumes est donc nécessaire pour atteindre la complétude, car chacun compense un manque chez l’autre.
Sur le plan collectif, cette situation évoque une société divisée dont la conscience collective est dissociée.
Depuis 2000 ans, l'Occident vit dans le mythe chrétien, fondé sur l’archétype du Christ. Mais au fil des siècles, ce royaume chrétien s’est morcelé et appauvri au détriment de la laïcité devenue notre principe dominant. En vertu de cette laïcité, et tout à fait paradoxalement, on accepte des mouvements spirituels sectaires qui manipulent et pervertissent la conscience.
D’une part, il existe des comportements qui dévalorisent et détruisent la femme (prostitution, pornographie, abus…), d’autre part, on rejette toute forme de spiritualité dans des domaines importants comme l’éducation. Cette situation ambivalente crée la confusion, la dissociation, le conflit, et la névrose collective.
Les deux royaumes de ce conte ont des problèmes complémentaires, mais c’est le féminin qui amorce l’action et se montre combattif et actif. Le féminin compense ainsi le patriarcat négatif en rétablissant un lien positif avec le masculin.
Le premier royaume
Il était une fois un empereur si riche qu’il ne savait que faire de ses richesses. Malgré tout, il était malheureux de n’avoir pas d’enfants. Un jour, son épouse lui dit: "Mon cher époux, j’aimerais prendre le carrosse pour aller en promenade. – Attendez, lui répondit-il, je ferai plutôt construire pour vous un navire."
Quand le navire fut achevé, l’empereur dit à son épouse: "Ma chère, vous pourrez embarquer demain; cependant, si vous ne revenez pas enceinte, vous ne pourrez pas rester avec moi."
Ce royaume est stérile: l’empereur et sa femme ne peuvent ou ne veulent pas avoir d’enfant.
Comme toujours, de telles difficultés vont donner lieu à une naissance particulière et unique, un enfant dont la destinée sera exceptionnelle.
L'impératrice
Sur le plan psychologique, l’époque précédant la naissance est toujours importante: avant une phase créative, on vit souvent une phase dépressive; plus celle-ci dure, plus l’énergie inutilisée s’accumule dans l’inconscient. Jung l’appelait "la dépression créatrice" et la considérait comme positive. Cette période est nécessaire au processus créateur car elle correspond à la gestation de l’oeuvre.
L’impératrice est dans un état d’extrême nervosité et d’anxiété. Elle se sent étouffée, dépourvue de liberté et a besoin de respirer, au point de délaisser son mari: elle désire se promener en voiture. Mais l’empereur lui conseille un voyage en bateau en lui précisant qu’il la reniera si elle ne revient pas enceinte.
Psychologiquement, l’impératrice se cherche, est en quête d’elle-même. Si elle demeure sur la terre, familière et connue, et se déplace en voiture, elle ne va "travailler" que sur sa conscience, superficiellement. Elle ne va pas entrer en contact avec l’inconscient, ce dont elle a grand besoin.
Le choix de l’empereur s’avère donc juste. Mais, en contraignant l’impératrice à voyager sur l’eau, il fait preuve d’ambiguïté. D’une part, il pousse sa femme à explorer son inconscient et de l’autre, il la met en danger et la "jette à l’eau", comme s’il voulait se débarrasser d’elle.
Peut-être désire-t-il intensément un enfant? Pour un roi ou empereur, l’enfant symbolise la renaissance et le renouvellement du pouvoir royal qui évitent de sombrer dans l’inertie et la rigidité.
Sur le plan symbolique, le bateau crée les liens entre les humains et les mondes séparés par les eaux. Tisser des liens est le propre du féminin, et de l’éros. Par sa forme "ventrue", le bateau évoque le féminin et la fécondité. Il est proche de l’inconscient mais il permet de ne pas sombrer dans l’inconscient collectif infini, de ne pas se noyer, se dissoudre dans les eaux.
Rêver de voyager en bateau signifie rester à la surface de l’inconscient, être en relation avec lui en n'étant pas submergé et possédé par lui, grâce au bateau qui nous protège.
Voyage de l'impératrice
L’impératrice embarqua donc sur le navire avec ses deux servantes. Une nuit, il y eut une terrible tempête et l’impératrice aperçut au loin un immense palais. Elle le contempla avec émerveillement et, manquant de vivres, elle décida de faire escale au palais.
L’impératrice y envoya ses servantes. À leur retour, elles lui dirent qu’elles avaient appris que c’était la résidence de la Mère de Dieu, et qu’elles n’avaient pas osé y pénétrer.
Alors l’impératrice décida de s’y rendre elle-même. Dans la cour du palais, elle vit un magnifique pommier couvert de pommes d’or et fut prise du désir d’en manger une. Les servantes tentèrent de s’approcher de l’arbre pour y chercher une pomme d’or, mais ce fut en vain.
L’impératrice tomba gravement malade: les servantes essayèrent de nouveau de s’approcher du pommier et cette fois-ci réussirent à voler une pomme. L’impératrice mangea goulûment la pomme et vomit aussitôt. Elle se sentit soudain comme enceinte de six mois et en fut très heureuse.
Le pommier
À peine arrivée sur l’île, l’impératrice aperçoit dans le jardin de la Vierge Marie des pommes. Elle désire en manger: après plusieurs tentatives d’en voler une, elle vomit et se sent enceinte.
C’est donc grâce à la pomme que l’impératrice se rend compte qu’elle est enceinte: peut-être l’était-elle déjà sans le savoir et que la "fringale" typique des femmes enceintes le lui a confirmé?
La pomme a donc une fonction importante: sans elle, la reine n'aurait pas pris conscience de son état et de ses conséquences.
La pomme est en relation avec l’au-delà (le pays des morts), ainsi que le bateau avec la mort.
Pour une femme, donner la vie signifie laisser mourir la "vierge" en elle. C’est à la fois une mort et une renaissance. La femme enceinte est proche de la mort et de l’au-delà: devenir mère peut transformer, être une expérience initiatique.
Cette île où vit la "Vierge Marie", avec son pommier et ses pommes d’or, évoque le paradis du christianisme, où Dieu interdit à Adam et Ève de manger la pomme, fruit de l’arbre de la conscience du bien et du mal.
Eveil de la Vierge Marie
Mais la Mère de Dieu s’éveilla à ce moment précis et vit que la plus belle pomme de son arbre manquait. "Qui l’a volée ? fit-elle, si une fille naît de cette pomme, elle sera aussi belle que le soleil. Toutefois, à l’âge de 17 ans, elle se transformera en chatte. C’est Dieu qui la transformera ainsi. Tous ses serviteurs subiront le même sort jusqu’à ce que le fils d’un empereur vienne et coupe la tête de la chatte. Alors, tous reprendront leur forme humaine."
En mangeant la pomme, l’impératrice devient elle aussi consciente de l'opposition entre le bien et le mal. Et elle en est durement punie. La Vierge Marie jette un sort à la petite fille qui va naître, qui sera transformée en chatte à l’âge de 17 ans et exilée.
Ici, la Vierge Marie veut empêcher un féminin nouveau de naître: c’est un de rares contes où la Vierge Marie fait irruption et dévoile son aspect obscur en lançant une malédiction à un être humain - quoique la malédiction soit atténuée par une possibilité de libération par un homme.
La vierge Marie vient de très loin: la plus ancienne représentation qu’on a trouvée d’elle est une copie d’Isis et de son fils Horus. La Vierge Marie a hérité de certains attributs d’Isis assimilée à la déesse-chatte Bastet en Égypte. Elle est associée aux bateaux et à la navigation et on l'appelle souvent "stella Maris", l’"Étoile de la mer".
L’aspect obscur de la Vierge Marie est manifeste chez les vierges noires qui sont encore nombreuses en Europe.
Dans ce conte, le côté obscur de la vierge Marie l’assimile à une sorcière: de plus, elle ne vit pas au ciel, mais dans un palais, sur une île au milieu de l’eau. Elle n’est ni sur terre, ni au ciel, ni dans une église.
La malédiction
Lorsque l’impératrice revint chez elle enceinte, l’empereur en fut ravi. Elle donna naissance à une ravissante petite fille. L’enfant grandit normalement. Mais, le jour de ses 17 ans, à table, durant le déjeuner, elle se transforma soudain en chatte et disparut avec tous ses serviteurs.
À 17 ans, la malédiction se réalise, la princesse est métamorphosée en chatte et disparaît.
Les chats viennent d’Égypte: avant, ils n’existaient pas en tant que tels. En Égypte, le chat était un animal sacré et spirituel, dépourvu des aspects sombres de sa nature.
La chatte blanche soigne et guérit, détruit les poisons, stimule les forces immunitaires: sa queue est utilisée pour guérir la cécité. C’est un organe qui équilibre et concentre tous les pouvoirs de la chatte. Dans le folklore, la chatte blanche libère les opprimés, aide les jeunes hommes pauvres, apporte la richesse, la puissance, les honneurs.
La chatte est considérée comme immortelle, à l’instar du serpent: elle se couche en rond et est censée avoir 9 vies. Mais négativement, cette position équivaut au "cercle vicieux".
Elle a la faculté de regarder sans cligner des yeux et de voir dans l’obscurité, et est considérée comme voyante et médium. Indépendante et libre, elle protège les maisons et les récoltes des rongeurs et des serpents, mais peut aussi jeter des sorts, ensorceler ou envoûter.
En Égypte, la chatte était consacrée à la déesse Isis.
À partir de la 22ème dynastie, la déesse-chatte Bastet apparut en tant que fille d’Isis et d’Osiris et supplanta toutes les autres déesses. La chatte-Bastet symbolisait la créativité et la conscience.
La déesse-chatte
Cette déesse-chatte n’avait pas d’aspect négatif, et son côté sombre venait de la lune. Elle était donc une figure positive, liée aux fêtes, à la joie de vivre, à la musique.
C’est avec le christianisme qu’est apparu l’aspect négatif de la chatte: le monde patriarcal dissociait l’esprit masculin et le féminin naturel et instinctif. Et l’on projetait les aspects obscurs sur les chats noirs investis de pouvoirs négatifs et démoniaques. On croyait que des femmes-sorcières avaient le pouvoir de s’introduire dans le corps de chattes noires et se vouaient au diable et au mal. Entre le 12ème et le 17ème siècle, de nombreuses sorcières ont été brûlées sur les bûchers de l’inquisition, et des chats noirs sacrifiés.
Dans le conte, la chatte est donc une ombre de la Vierge Marie: ce n’est pas l’impératrice qui est punie d’avoir mangé la pomme, mais la fille qu’elle porte.
Psychologiquement, les malédictions - névroses, conflits - sont souvent transmises aux enfants par les parents qui ne les résolvent pas.
La princesse-chatte doit vivre dans la forêt, isolée, sous une forme déshumanisée, mais non tragique. Elle vit dans des conditions luxueuses et a des serviteurs. Elle est seulement coupée de tous liens avec les humains et la réalité.
Sa disparition n’est pas seulement due à la malédiction de la Vierge Marie, mais aussi à sa mission. Elle a un rôle important à jouer dans l’évolution féminine qui consiste à se libérer et accomplir une destinée personnelle.
Le second royaume
Dans un pays lointain vivait un empereur qui avait trois fils. Sa femme était morte et il s’était mis à boire de désespoir.
Le second royaume de ce conte est un empire masculin stérile: le roi a trois fils et la reine est morte. Le roi demeuré seul a sombré dans l’alcoolisme. Le féminin n’existe plus, et il y a trop de masculin.
Dans les univers exclusivement masculins, il y a toujours une tendance à la hiérarchie, ce qui suppose que la hiérarchie est d’origine masculine. La hiérarchie crée des rapports de force, de pouvoir, d’exploitation, des relations de dominant à dominé, de victime à bourreau. Dans une hiérarchie, c’est le plus intelligent ou le plus fort ou le plus riche qui atteint le sommet et prend le pouvoir.
Le féminin s’épanouit difficilement dans une structure hiérarchisée. La femme authentique et naturelle préfère la collaboration à la hiérarchie. Le monde féminin est plus souple, plus subjectif, plus centré sur la personne et les relations humaines.
Il n’en est pas moins vrai que les univers exclusivement féminins ne sont pas toujours satisfaisants. Ils ne sont pas exempts de pouvoir, même si les femmes l’exercent avec moins de brutalité et d’agressivité. Mais actuellement, de nombreuses femmes ont intégré cette agressivité et cette brutalité masculines et se comportent de la même manière.
Le roi-empereur alcoolique est une figure originale et rare dans un conte.
En réalité, L’alcoolisme vient souvent d’un syndrome d’abandon, qu’il soit réel ou symbolique. Lorsqu'on se sent abandonné et seul, même si on ne l'est pas réellement, cela est lié à l’amour, à l’affectivité, à une vie intérieure trop pauvre.
Psychologiquement, chez un homme, cela vient de l’absence de féminin dans sa vie. Si le féminin en lui est mort, l’homme est perdu, il ne peut plus vivre et devient stérile.
Ce manque s'exprime par le besoin d’ivresse et de griserie. L’extase de l’alcool donne l’illusion de la vie. Cela n’est bien sûr pas une règle générale. Il y a des hommes dont le féminin n’est pas éveillé ou faible, et qui ne sont pas alcooliques pour autant.
Le souhait de l'empereur
Désireux d’éloigner ses fils, il les appela et leur dit: "Celui qui en sera capable devra me rapporter un tissu de lin si fin que l’on pourra souffler au travers et le passer dans le chas d’une aiguille. Chacun de vous devra me rapporter aussi un cadeau et je verrai alors lequel d’entre vous est le plus grand héros."
Alors que la princesse-chatte disparaît de la conscience collective, une autre histoire débute dans le conte.
Dans le second royaume, l’empereur veut se débarrasser de ses trois fils. Il les envoie donc lui chercher une chose très précieuse.
Celle-ci consiste en un tissu de lin si fin qu’il peut passer par le chas d’une aiguille.
Le lin est une fibre purement végétale, contrairement à la laine qui vient des animaux. C’est donc un textile pur, en relation avec le monde spirituel. On l’utilisait dans l’antiquité pour fabriquer les vêtements des prêtres et des magiciens. Il a aussi des pouvoirs de guérison: des morceaux de tissu de lin servent de remède, de moyen de transférer la maladie et d’exorciser. Le lin est donc à la fois pur, inoffensif et facilement contaminé.
Cette demande de lin de l’empereur révèle son problème avec le féminin: ce textile spirituel et pur correspond à sa conception du féminin. Pour lui, la femme est pure, belle, idéale, donc irréelle.
Psychologiquement, les hommes qui maltraitent les femmes les idéalisent souvent. Ils les rêvent chastes et pures et rejettent celles qui ne correspondent pas à cette belle image. Chez l’homme, ce phantasme de la femme chaste et pure réveille l’obscur, le diable, le mal. Même dans nos sociétés actuelles, ce fantasme masculin existe toujours: la femme "correcte", "convenable", "respectable", "vertueuse", "soumise"… De même que les violences subies par les femmes.
Cette image est très négative pour la femme car elle la détruit et l’empêche d’être elle-même. L’homme qui a un tel modèle féminin ne peut pas être authentique, intègre, vrai. Alors, il devient un idéaliste désenchanté et amer. Il devient alcoolique comme l’empereur.
En réalité, ce bel idéal dissimule un vieillard lubrique et libidineux, comme l’est l’empereur dans sa relation avec la princesse-chatte.
Autrefois, de tels hommes épousaient une femme "convenable" et se rendaient au bordel pour satisfaire l’autre aspect de leur féminin. Il existe encore actuellement des hommes dissociés qui ne peuvent pas accepter une femme dans sa totalité.
La quête des fils de l'empereur
L’aîné choisit un chemin sur lequel il souffrit de la faim, mais où son cheval trouva à se nourrir. Tout ce qu’il découvrit fut un joli petit chien.
Le second suivit un chemin où il trouva à manger pour lui alors que son cheval était affamé. Il découvrit un petit morceau de tissu de lin ordinaire que l’on pouvait faire passer par le chas d’une grosse aiguille si l’on insistait beaucoup.
Le plus jeune des frères voyagea à travers une forêt sombre et, soudain, il se mit à pleuvoir si fort qu’il n’y voyait plus rien. Pendant trois jours et trois nuits, il plut sans arrêt et tout devint noir. Le matin du troisième jour, il y eut du tonnerre.
À la lueur des éclairs, il aperçut soudain devant lui un palais.
Les trois fils partent en quête de ce lin si raffiné.
L’aîné prend un chemin où il souffre de la faim, mais où son cheval est nourri. Le cavalier et le cheval représentent un état où l’on est soutenu, porté par notre animalité, nos forces instinctives.
Bien qu’il n’ait pas de quoi manger, son cheval est nourri. Cela correspond à une vie matérialiste, pragmatique, où on nourrit son corps, on s’occupe de sa santé, de son bien-être physique. Mais on ne nourrit pas son esprit, sa dimension spirituelle. Aussi, le frère aîné ne trouve-t-il qu’un joli petit chien comme cadeau.
Le deuxième frère, lui, a de quoi manger, mais son cheval a faim. Contrairement à l’aîné, il néglige ses besoins matériels et physiques au détriment d’une fausse spiritualité. Et il ne trouve qu’un peu de lin grossier.
On peut en déduire que les deux frères aînés sont allés d’un côté et de l’autre, de manière unilatérale. L’un, du côté matériel et l’autre, du côté spirituel.
C’est le plus jeune frère qui prend le bon chemin, le chemin du milieu. Il ne se laisse pas attirer exclusivement par le matériel ou le spirituel. Il se perd dans la forêt, pris dans un terrible orage. Et il pénètre dans l’inconscient végétatif où il découvre le château de la princesse-chatte.
La pluie et l’orage évoquent le déluge, provoqué par la colère de dieu, c’est-à-dire de l’inconscient collectif.
Psychologiquement, les rêves d’inondation, de déluge ou de pluie diluvienne signifient que l’on n’a pas prêté attention aux messages de l’inconscient, et que l’on risque de sombrer, de se noyer.
Collectivement, il en est de même. Lorsque les hommes négligent l’inconscient collectif et ses lois, lorsqu’ils outrepassent leurs droits en exploitant, en manipulant, en méprisant les lois de la nature, ils tombent dans le "syndrome de Prométhée". Ils désirent tout prendre à la nature pour l’utiliser à des fins de profit. Et la nature finit par prendre sa revanche.
Cependant, la pluie et l’orage ont aussi un aspect positif: la pluie fertilise et est source de fécondité; l’orage apaise les tensions et permet à l'atmosphère de se détendre.
Psychologiquement, l’orage représente une explosion d’affects qui se résolvent.
En découvrant le château, le prince voit même des éclairs comme s’il avait une vision, une illumination. L’éclair accompagne toujours la princesse-chatte: elle apparaît et disparaît dans un éclair.
Jung parlait souvent de la manière dont une femme doit éveiller un homme: en provoquant un "orage" de temps en temps. Il citait les Indiens Hopis où les femmes faisaient des scènes à leurs compagnons pour les secouer, les éveiller, les faire avancer. Quand un homme est négligent vis-à-vis du féminin, si sa femme ne le réveille pas de temps en temps, il risque de s’endormir "sur ses lauriers" sans même s’en rendre compte.
Le palais de la princesse-chatte
Épuisé, il voulut se rendre dans ce palais, mais la porte était fermée et un haut mur se dressait devant lui. "Je meurs de faim!" s’écria-t-il dans sa détresse. Alors, il vit, suspendu au-dessus de la porte, un morceau de viande. Il allait le saisir, affamé, lorsqu’il se rendit compte que ce n’était pas de la viande, mais un paquet de pierres précieuses qui n’avait que l’aspect de la viande. Il grimpa sur le mur pour l’atteindre et, le touchant du pied, il ne put s’en détacher.
Il entendit alors sonner un cloche. De terreur, il se laissa tomber. La porte s’ouvrit, mais il ne vit personne: seule une main ouvrait la porte. Il passa le seuil en se disant: "Je vais entrer, quoi qu’il puisse m’arriver."
Devant le château, le prince aperçoit une chose étrange qui lui paraît être un morceau de viande. En réalité, ce n’est pas de la viande, mais un sac de pierres précieuses. Au moment où il veut s’en saisir, il est pendu par un pied. Une cloche se met à sonner et il retombe, tiré à l’intérieur.
Attirance initiale
Cet épisode est très intéressant, car il révèle la relation que le prince a avec le féminin et la femme. Le morceau de viande indique qu’il est d’abord attiré par l’aspect physique de la femme, la chair, les "plaisirs de la chair". En allemand, il n’y a qu’un seul mot pour "viande" et "chair": le mot "Fleisch". Les Anglais et les Français font la distinction entre les deux.
Se jeter sur la "viande" est une attitude sexuelle primaire où l’homme est dominé par ses désirs sexuels.
La princesse-chatte attire le prince par un morceau de viande avant de le punir de s’être laissé prendre.
Il s’agit là d’un problème fondamental du féminin et du masculin qui doivent être libérés. L’homme doit intégrer son féminin, et la femme son masculin. La "chair" ou la "viande" n’est qu’une illusion, un leurre. Si l’homme voit la femme comme de la "viande" tout juste bonne à consommer, c'est-à-dire comme un objet sexuel, il passe à côté de son féminin, de son âme, et de lui-même.
C’est la raison pour laquelle le prince ne parvient pas à se saisir de ce morceau de fausse viande. Il s’agit de quelque chose de précieux. Et le prince doit d’abord être dégrossi, raffiné, pour reconnaître de telles pierres précieuses.
Et c’est également pour cette raison qu’il doit subir des tortures initiatiques. Pris au piège, il est suspendu par un pied, alors que sonne une cloche.
Il est pendu par un pied comme le "pendu" de la lame 12 du tarot. On appelle aussi cette lame "le sacrifice" ou "la victime". Elle représente l’expiation, l’esclavage psychique, l’asservissement, les pensées coupables, l’amour non partagé. Le "pendu" est victime d’un asservissement magique, esclave d’une passion, d’un désir inconscient, d’un préjugé. Mais il est aussi symbole de purification, d’éveil libérateur, d’initiation.
La cloche éloigne les démons et les mauvais esprits: elle annonce les événements importants, archétypiques, comme la naissance et la mort, ou des manifestations spirituelles, divines. La cloche est aussi un symbole de totalité, à la fois féminine et masculine: elle relie le battant masculin et la cloche féminine.
Le son de la cloche libère le prince de sa pendaison. Il retombe sur ses pieds et à partir de ce moment, il fait face à son destin.
Epreuve initiale
Il n’y avait pas un seul être humain. En visitant le palais, il aperçut dans une chambre une table avec une bougie et un lit. Il y entra et s’y sécha. Mais, dès qu’il voulut s’asseoir sur le lit, dix mains apparurent qui se mirent à le battre et lui arrachèrent du corps tous ses vêtements.
Désespéré, il se demandait qui le battait ainsi. Les mains ne cessèrent de le battre que lorsqu’il fut entièrement nu. Alors, il vit sur la table de la nourriture et de beaux vêtements, si bien qu’il put manger et revêtir des vêtements secs.
Le second jour, il entra dans une autre chambre. Tout se déroula comme la première fois. De nouveau, des mains lui arrachèrent ses vêtements et le battirent, puis il eut à manger.
Le prince arrive d’abord dans une chambre contenant un lit où il aimerait se reposer: mais aussitôt, il est battu comme plâtre par 10 mains sans corps, jusqu’à ce qu’il se retrouve tout nu. À l’issue de ce supplice, un repas somptueux lui est servi, et il est revêtu de magnifiques vêtements.
Le deuxième jour, il se rend dans une autre pièce, où il lui arrive la même chose.
Dans les contes, les héros masculins sont souvent battus, beaucoup plus que les femmes qui sont davantage tourmentées psychiquement. Les hommes sont battus car ils sont dominés par leur mental, leur intellect. Ils doivent alors souffrir physiquement, dans leur chair. La souffrance physique leur permet de prendre conscience de leur dimension féminine.
La libération et l’intégration du féminin chez un homme exige ce traitement physique. Le masculin ne croit qu’en l’action, alors que la souffrance physique nécessite de la patience, un état d’abandon, de laisser-aller. Cela est insupportable à un homme de ne pouvoir agir, ne rien pouvoir faire, et supporter passivement le conflit et la souffrance qui le déchirent. Mais c’est l’unique moyen pour qu’il prenne conscience du féminin en lui.
Supporter la souffrance, le conflit intérieur, ne signifie pas être masochiste et victime, ou se déprécier et se dévaloriser. Au contraire, c’est faire l’expérience de la souffrance et l’assumer quand elle se présente. C’est comprendre qu’elle est initiatique et qu’elle peut nous libérer. Si on ne fait pas une telle expérience du conflit douloureux en soi, on n’en prend pas conscience et on ne s’en libère jamais.
Le prince doit donc subir cette flagellation initiatique qui fait partie de nombreux rites d’initiation, de même que la nudité, liée à la renaissance.
Le troisième jour, l’impératrice ordonna à ses serviteurs-chats de conduire le jeune héros dans la pièce principale où tout était en or. Pour cela, on lui apporta des vêtements d’or pur. Quand il les eut revêtus, cent chats se mirent à chanter et à jouer de la musique. Ils firent asseoir le jeune homme sur un trône d’or pur. Il songea: "Je ne sais pas qui règne ici" et, au même instant, il découvrit une ravissante petite chatte couchée dans une corbeille en or.
Le troisième jour, le prince est purifié et transformé. Son mépris de la chair et de la femme-objet a disparu. Alors il est nourri, non seulement physiquement, mais aussi spirituellement.
Auprès de la princesse-chatte
L’impératrice des chats fit mener au jeune homme une vie d’enchantements et de plaisirs jusqu’à ce qu’un jour, à minuit, elle sorte de son panier et lui dise: "À partir de maintenant, ce n’est plus moi qui régnerai dans ce palais. Ce jeune homme est désormais votre souverain."
Tous les chats le saluèrent comme tel. L’impératrice des chats le prit par la main, l’embrassa et lui demanda: "Mon cher héros, pourquoi êtes-vous venu ici?" Il répondit: "Ma chère Chatte, dieu conduit les humains par différentes voies. Mon père m’a envoyé à la recherche d’un tissu de lin assez fin pour que l’on puisse souffler au travers et le passer par le chas d’une aiguille, et je suis parti en voyage pour le trouver, ce qui m’a mené jusqu’ici."
Le prince est installé sur un trône d’or et la princesse-chatte annonce à toute sa cour qu’il règnera dorénavant sur son royaume. Il devient donc le roi des chats.
La princesse-chatte est couchée dans un panier rond doré: elle forme un cercle, un mandala - un symbole du SOI. Elle représente donc une totalité potentielle, mais inaccomplie car elle n’est pas encore humaine.
En faisant du prince le roi de son royaume, elle accorde une place importante au masculin. Elle n’est pas hostile au masculin et elle prépare l’union du féminin et du masculin.
Les hommes et les femmes sont en conflit depuis toujours: jusqu’à une époque récente, les mariages étaient arrangés. Dans les sociétés anciennes et traditionnelles, les hommes et les femmes n’étaient pas "ensemble": chacun demeurait dans son domaine.
La situation actuelle est donc totalement neuve dans l’histoire de l’humanité.
Le sentiment vrai entre l’homme et la femme est encore fragile et balbutiant et doit être appris et intégré. L’amour courtois du Moyen-Âge a été une première tentative de concilier le masculin et le féminin, bien qu'elle ait échoué.
Ainsi, pour la première fois, il est possible de créer de vrais liens entre les hommes et les femmes, au-delà des projections inconscientes et aveugles qui sont pourtant nécessaires au début d’une relation pour éveiller l’attirance entre les sexes.
La question fondamentale est la suivante: est-il possible de dépasser ce stade de projection inconsciente pour créer une relation où l’autre n’est plus une image de notre féminin ou notre masculin intérieur, mais un être humain différencié et réel?
À cette question, ce conte répond: cela n’est possible que si l’on prend conscience de son féminin ou masculin intérieur, et si on le réalise d’abord en soi-même. Alors seulement, on ne le cherchera plus à l’extérieur et on pourra accepter l’autre tel qu’il est, sans projection, sans fantasme, sans illusion, sans image de lui. Cela est terriblement difficile et nécessite une profonde conscience de soi, de la lucidité, de la clairvoyance…
Mais le prince n’a pas atteint ce stade: il est encore trop primaire et ne perçoit pas la finesse et la subtilité de la question que lui pose la chatte sur la raison de sa présence dans son château, ni son charme et sa séduction. La chatte attendait une réponse plus courtoise, mais le prince est encore attaché à son père, à son projet, son idéal.
Il ne comprend pas que la chatte est capable de tout lui donner. Il ne saisit pas le lien entre le lin demandé par son père et la chatte.
Retour dans le monde réel
Pendant ce temps, les deux frères aînés étaient revenus chez leur père. L’aîné rapportait un petit chien qui plut beaucoup à son père. Le frère cadet rapportait une pièce de lin grossier qui pouvait passer dans le chas d’une grosse aiguille.
L’empereur leur demanda des nouvelles de leur jeune frère. Comme ils ne l’avaient pas revu, ils crurent tous qu’il était mort et le pleurèrent longuement avec chagrin.
Quelque temps après, la Chatte dit au héros: "Mon cher, ne désirez-vous pas rentrer chez vous? L’année est passée où vous deviez retrouver vos frères. – Non, non, répondit-il, je ne veux pas rentrer. Je suis heureux ici. J’y resterai jusqu’à la fin de ma vie. – Non, il ne faut pas, dit-elle, si vous désirez rester ici, il vous faut d’abord retourner chez vous et rapporter à votre père ce que vous lui avez promis. – Mais où trouverai-je un tissu de lin fait de fils aussi fins? – Oh, ce n’est pas un problème, répliqua-t-elle. – Dites-moi, ma chère Chatte, est-il vrai que trois jours avec vous sont comme une année? – Oui, et même davantage. Depuis que vous êtes parti, neuf ans se sont écoulés."
Il ne parvenait pas à croire comment un an pouvait devenir neuf. Et il se demandait comment retourner chez son père.
Alors la Chatte lui dit: "Donnez-moi le fouet qui est accroché au mur, le fouet du feu." Elle fit claquer le fouet dans trois directions de l’espace et un char d’éclairs ou char de feu apparut.
Les deux frères aînés sont retournés chez l’empereur, l’un avec son petit chien, et l’autre avec son lin grossier. Quant au fils cadet, on le croit mort et on le pleure.
Le prince continue de vivre avec la chatte: un jour, elle lui demande s’il ne veut pas rentrer chez lui. Il lui répond par la négative, mais elle insiste sur le fait qu’il doit rapporter à son père ce qu’il lui a promis. Et elle lui précise qu’elle lui procurera le lin.
L’espace/temps dans le royaume de la chatte, royaume de l’inconscient, n’est pas le même que celui du royaume de l’empereur: cela pose un problème au prince. Mais la chatte règle ce problème d’un claquement de fouet magique, en faisant apparaître un char de feu.
Le fait de retourner dans son monde est important pour le prince. S’il restait chez la chatte, ils seraient tous deux prisonniers du domaine de l’inconscient et leur couple ne pourrait pas s’incarner dans la réalité.
Psychologiquement, lorsqu’on a pris contact avec l’inconscient, il faut revenir dans le monde réel avec ce qu’on a découvert: il est nécessaire de ramener cette nouvelle connaissance et de l’intégrer à sa vie. Chaque fois qu’on a découvert quelque chose en soi, il faut rétablir le lien avec la conscience et tenter de transmettre ce qu’on a découvert à l’humanité, d’une manière ou d’une autre. Sinon, le voyage a été inutile et l’expérience intérieure reste un rêve inconscient.
Par conséquent, le prince doit délivrer le féminin, et ramener la chatte de son univers inconscient à la conscience. Il doit aussi transformer la situation collective dans le royaume de son père, d’où la nécessité d’y retourner.
Le char volant
Ils entrèrent tous deux dans le char, elle fit à nouveau claquer son fouet et le char s’éleva dans les airs. Lorsqu’il redescendit, la Chatte lui dit: "À présent, vous pouvez rentrer chez vous. Prenez cette noix, mais ne l’ouvrez pas avant que votre père vous demande de lui donner le tissu de lin."
Les chars de feu sont répandus dans les mythologies: ils sont en général réservés aux dieux.
En faisant apparaître un char de feu, la chatte révèle son aspect divin et spirituel.
Le prince doit prendre conscience de cette dimension divine, spirituelle, du féminin, et aussi de la dimension spirituelle de l’amour et de la sexualité. La sexualité n’est pas seulement une affaire de chair, d’hormones, quelque chose de matérialiste, mais aussi une expérience spirituelle.
Le lin
Quand ils virent le char de feu descendre du ciel, le père et les frères furent d’abord terrifiés. Puis ils furent très heureux de revoir leur frère vivant. Le père lui dit: "M’avez-vous rapporté le tissu de lin mon fils? – Oui, Père." À ces mots, il cassa la noix et y trouva un grain de maïs; il l’ouvrit et y trouva un grain de blé. Il se mit en colère et pensa: "Cette satanée Chatte m’a trompé!", s’écriant tout haut: "Au diable la Chatte, elle m’a trompé!". Dès qu’il eut prononcé ces paroles, il sentit des griffes invisibles lui griffer les mains qui se couvrirent de sang.
Il ouvrit donc le grain de blé et y trouva la graine d’une herbe. Quand il ouvrit cette graine, il en sortit des mètres et des mètres de tissu du lin le plus fin et le plus beau. Il l’offrit à son père qui dit: "Mon fils, c’est à vous que revient la couronne, car vous avez trouvé le lin le plus fin. – Non, père, répondit-il, je suis assez riche. J’ai un empire où je peux vivre. – Non, rétorqua le père, chacun d’entre vous doit d’abord se trouver une femme, car je dois voir qui vous épouserez."
Sauver le féminin en sauvant la chatte ne représente pas seulement la rédemption de la chair, mais aussi la reconnaissance de l’aspect spirituel de la chair.
La chatte donne au prince une noix qui contient le lin demandé par l’empereur.
À son arrivée, le prince casse la noix: il y trouve, imbriqués l’un dans l’autre comme des poupées russes, un grain de maïs, un grain de blé, un grain de mauvaise herbe et finalement des mètres de lin très fin. Au moment où il découvre le contenu de la noix, le prince croit que la princesse l’a trompé et se met en colère. Alors des griffes invisibles le lacèrent jusqu’au sang. C’est la chatte qui le "remet à sa place".
Ces végétaux imbriqués les uns dans les autres sont bien mystérieux.
La noix est un des aliments les plus anciens de l’humanité et représente la fertilité: elle est dure à l’extérieur, mais son fruit est tendre et nourrissant. En allemand et en anglais, on dit "croquer une noix" pour "trouver une solution à un problème". L’expression "une noix difficile à casser" signifie un problème épineux.
Le maïs est aussi un produit de la terre nourricière, associé à la fertilité.
Le blé a une symbolique plus riche que le maïs: mort et renaissance.
Enfin, la mauvaise herbe est un végétal étonnant à ce stade, car c’est elle qui contient le précieux lin. Ce lin est donc contenu dans une chose sans valeur, mais c’est justement là qu'est la "substantifique moelle", la richesse la plus profonde.
Ces quatre éléments représentent une "quaternité", c’est-à-dire une totalité. Les ouvrir et les découvrir progressivement jusqu’au centre précieux représente le processus de connaissance de soi.
Sur le plan psychologique, quand on entre en contact avec l’inconscient, celui-ci est d’abord dur, difficile à pénétrer comme la noix, puis il devient nourrissant et enrichissant.
Le maïs représente les premiers contenus que l’on peut découvrir dans l’inconscient, qui nous donnent de l’espoir et de la force.
Le blé est la dimension spirituelle, la nourriture de l’âme.
La mauvaise herbe est différente: après les premières découvertes qui nous font progresser, apparaît soudain une chose sans valeur, réaliste et pragmatique. Et c’est cette chose qui est la plus importante car elle contient le précieux lin, le fin du fin, la fine pointe de l’âme, le "noûs"» - qui dans l’antiquité grecque est l’aspect le plus spirituel de la psyché.
Cette "mauvaise herbe" ne nous aide pas à résoudre nos problèmes réels et pragmatiques, mais elle a une autre fonction, essentielle. Elle nous guide vers la connaissance de soi, le sens de notre vie, le sens de "la" vie. Il faut dépasser ce stade où l'on a l’impression de ne plus pouvoir progresser dans le quotidien, où l'on est bloqué. Car c’est au-delà que se trouve la vraie richesse de notre être.
Lors d’une analyse, on vit ce stade souvent après une longue période de recherche: les rêves deviennent de plus en plus complexes et sophistiqués, mais on ne peut plus s’en servir pour résoudre nos problèmes. Ils nous apprennent simplement à vivre, à être nous-même. C’est ce qu’il y a de plus difficile dans une analyse, car on attend toujours des réponses pragmatiques et réalistes à des problèmes précis. Et on oublie l’essentiel, l’accomplissement de son être, la réalisation de soi et de sa destinée propre, quelle qu’elle soit.
Nouvelle exigence de l'empereur
Les trois fils s’en allèrent donc chacun de son côté en quête d’une épouse.
Quand il fut revenu chez elle, la Chatte demanda au héros ce qui s’était passé. Il lui raconta tout, et lui précisa qu’il ne savait comment trouver une épouse. La Chatte l’écouta attentivement, mais ne dit rien. Il vécut avec elle encore un mois jusqu’à ce qu’elle lui dise un jour: "Ne voulez-vous pas retourner chez vous? – Oh non, je ne veux pas rentrer, je n’ai aucune raison de le faire."
Après un certain temps, ils commencèrent à tomber amoureux l’un de l’autre. Le jeune héros demanda à la Chatte: "Pourquoi êtes-vous une chatte? – Ne me le demandez pas encore, répondit-elle, posez-moi la question plus tard. Allons ensemble chez votre père."
L’empereur est très satisfait du lin rapporté par le prince, mais il ne veut toujours pas lâcher prise, s’effacer. Alors, il demande à ses fils de lui ramener la plus belle femme.
Dans le royaume de la chatte, une fois de plus, le prince refuse de retourner chez l’empereur. Il est tombé amoureux de la chatte. Et une fois encore, la chatte le contraint à s’en aller.
En réalité, le prince est si heureux de sa vie auprès de la chatte qu’il ne veut pas en changer.
Mais la chatte, elle, est insatisfaite, car elle souffre de cette situation. Donc, elle amorce le processus de transformation. Elle aussi est amoureuse du prince et cela lui pose un immense problème, car elle n’est pas une femme réelle.
Le prince n’a pas le même problème: il est fasciné et séduit par son féminin sous la forme de la chatte. Mais il ne s'agit encore que de fascination, d'un sentiment illusoire et inauthentique. Dans une relation, c’est toujours la femme qui souffre d’une telle situation. Donc, c’est à elle de guider l’homme vers la femme réelle qu’elle est.
Ebauche de transformation de la chatte
Elle prit de nouveau son fouet, le fit claquer dans trois directions. Le char de feu apparut, ils y montèrent et voyagèrent dans les airs jusqu’au château du père.
Quand le père les vit, il dit: "N’avez-vous pas d’épouse? N’êtes-vous pas marié?" Le jeune héros désigna alors la Chatte en disant: "La voici. C’est cette Chatte qui est là." La Chatte s’assit alors dans son panier en or.
"Oh Seigneur, s’écria le père, qu’allez-vous faire d’une chatte? Vous ne pouvez même pas converser avec elle." La Chatte se mit alors fort en colère. Elle sauta hors de son panier et fuit dans une autre pièce. Là, elle fit un saut périlleux et se transforma en une belle jeune fille.
Lorsqu’elle revint, le jeune prince alla vers elle et l’embrassa. Son père et ses frères furent pétrifiés de surprise. Le père fut si satisfait qu’il dit: "À la vérité, c’est vous qui avez la plus belle épouse. Vous allez devenir mon successeur et régner sur tout l’empire."
Mais la jeune fille ne pouvait conserver longtemps sa forme humaine. Le prince refusa la proposition de son père, lui proposant de donner son royaume à son frère aîné. À ce moment, la jeune fille fit un autre saut périlleux, redevint Chatte et se recoucha dans sa corbeille.
L’empereur donna donc son couronne à son fils aîné et le prince repartit avec la Chatte. Il était en colère contre elle parce qu’elle avait repris son apparence animale. Elle lui dit: "Mon cher, je vous expliquerai plus tard pourquoi il me faut rester encore Chatte. Un sort pèse sur moi." Ils vécurent de nouveau dans leur royaume comme avant.
Lorsqu’ils reviennent chez l’empereur, la chatte se présente dans son panier comme l’épouse du prince. En la voyant, l’empereur pousse une exclamation méprisante.
La chatte se met alors en colère et se transforme en la ravissante princesse qu’elle est.
Les paroles de l’empereur dénotent un grand mépris vis-à-vis des animaux, de l’animalité: ce mépris est caractéristique du christianisme. Dans le paganisme, certains animaux étaient divins et il y avait des dieux-animaux.
Ce culte rendu aux animaux dans les religions antiques a fait réagir l'Église de manière excessive, et les animaux sont devenus méprisables dans notre civilisation.
Mais dans le conte, l’attitude de l’empereur a un effet positif: la chatte blessée va se montrer sous son véritable aspect, son visage humain.
À sa vue, l’empereur propose au prince son royaume. Mais la chatte ne peut pas encore demeurer durablement sous son aspect humain et elle redevient animale.
Libération de la princesse-chatte
Un jour, la Chatte aiguisa trois sabres turcs. Quand le prince revint de la chasse, elle se dit souffrante. "Ma chère, que vous arrive-t-il? lui demanda-t-il. – Oh, je suis très malade. Si vous m’aimez et désirez faire quelque chose pour moi, coupez-moi la queue. Elle est trop grosse et trop lourde." Le prince, désespéré, répondit: "Non, il ne faut pas que vous mourriez. Je préférerais mourir moi-même." Mais, comme elle insistait pour qu’il lui coupe la queue, à la fin, il le fit.
Elle se transforma alors en jeune fille, mais seulement jusqu’à mi-corps, des pieds à la taille, tandis que le haut de son corps demeurait celui d’une chatte.
Le prince en fut réjoui, mais la Chatte ne s’arrêta pas là. Elle lui dit: "Je déteste la vie. Je ne veux pas continuer à vivre. S’il vous plaît, coupez-moi la tête. – Comment pouvez-vous me demander de vous couper la tête? – Si vous m’aimez et voulez faire quelque chose de bon pour moi, coupez-moi la tête." À la fin, il cessa de lui résister, prit l’un des sabres et lui coupa la tête.
À ce moment, elle devint tout entière une belle jeune fille et les chats du palais se transformèrent en êtres humains. Le pays tout entier fut délivré et tout le monde fut heureux.
L’empereur donne son royaume à son fils aîné. Le prince et la chatte repartent, et le prince reproche à la chatte de n’être pas restée femme.
Le prince ne comprend pas qu’il doit aider la chatte. Jusqu’à présent, il n’a rien fait pour la libérer. C’est elle qui l’a toujours aidé.
Aussi, pour se préparer à sa libération, la chatte demande au prince de lui couper la queue et la tête.
C’est ainsi que la chatte met tout en place pour sa transformation ultime, sa libération. Le prince est incapable de comprendre ce qu’il doit faire et pour quelle raison. Il est inerte et aveugle.
En réalité, il aime trop la chatte dans son état animal et n’est toujours pas prêt à avoir une relation avec la femme réelle qu’elle est.
Donc, elle le forme psychologiquement en jouant le rôle de thérapeute, d’initiatrice. Elle l’inquiète jusqu’à ce qu’il fasse ce qu’elle lui demande.
Alors, il lui coupe la queue et elle se transforme en femme des pieds à la taille. Puis il lui coupe la tête et elle se transforme entièrement.
C’est la queue qui doit d’abord être coupée: la queue représente les réactions animales, physiques, instinctives de l’homme. Donc, couper la queue signifie que le prince doit distinguer les divers aspects de son féminin. En agissant ainsi, il parvient à comprendre son féminin animal, à l’humaniser et à l’intégrer.
Ensuite, c'est la tête qui doit être coupée. La tête est le siège de l’intelligence, de la conscience, de la connaissance. Le prince doit aussi devenir conscient de l’aspect spirituel de son féminin.
La déesse-chatte Bastet était une déesse de la musique, de la fête, de la magie de la vie. Un féminin positif chez un homme remplit sa vie de magie et d’enchantement. À l’opposé, un homme qui n’entre pas en contact avec son féminin est ennuyeux, sec, froid, intellectuel, rigide.
Le féminin positif stimule la vie chez un homme: mais il ne doit pas l’attendre d’une femme extérieure car il deviendrait dépendant comme un enfant. Il doit le trouver en lui-même. Il ne peut pas avoir de vraie relation avec une femme s’il est possédé par un féminin animal symbolisé par la queue, ou un féminin divin symbolisé par la tête.
Il est nécessaire qu’il se libère de ces deux aspects extrêmes.
Naissance de la femme
Le prince et la princesse s’embrassèrent avec joie et elle lui dit: "À partir de maintenant, vous êtes mon époux. J’avais été maudite par la Mère de Dieu jusqu’à ce qu’un fils d’empereur me coupe la tête."
Un jour, la princesse dit au prince: "Allons maintenant rejoindre votre père et vos frères, mais prenez garde, car ils veulent vous tuer." Ils retournèrent dans le royaume du père qui leur témoigna une grande joie. Mais il tomba amoureux de l’épouse de son fils, la Dame Chatte, à tel point qu’il essaya de faire mourir son propre fils pour s’approprier la jeune femme. Un jour, il lui dit: "Allez à la chasse, je désire manger du gibier." Quand la jeune femme fut seule, il se dirigea vers sa chambre et lui fit des avances, mais elle le souffleta au visage en lui disant: "Que désirez-vous, vieille horreur?"
La chatte devenue femme suggère au prince de retourner chez son père, en le prévenant que ses frères veulent le tuer.
On se demande pourquoi, la chatte transformée, il est encore nécessaire de retourner chez l’empereur.
À leur arrivée, l’empereur tombe amoureux de la princesse et veut se débarrasser de son fils en le tuant. L’envoyant à la chasse, il tente de séduire la princesse, mais celle-ci le repousse avec fermeté.
En colère, l’empereur veut les jeter en prison. Mais ils s’enfuient.
Défaite de l'empereur
Au retour de son mari, elle lui raconta ce qu’avait fait son père. "Nous devons partir d’ici tout de suite. Rentrons chez nous", dit-elle. Mais le fils voulut garder à son père son affection et fit comme s’il n’avait rien compris. "C’est aimable à vous de parler avec ma femme", dit-il à son père.
Son père voulut alors le forcer à lui céder son épouse et le menaça: "Si vous ne me donnez pas votre femme, je vous ferai pendre! – Même si vous me condamniez à mourir ce soir, répondit son fils, mon épouse ne me laissera jamais mourir." Alors le père donna l’ordre de les emprisonner, lui et son épouse. Entendant ces paroles, ils s’enfuirent et le prince dit à son père: "Père, d’ici peu, ma femme vous punira."
Quand ils furent de retour dans leur royaume, ils réunirent une armée nombreuse et déclarèrent la guerre au père du prince. En trois jours, le vieil empereur leva sa propre armée, mais son fils la détruisit. Lorsqu’il se vit perdu, il dit à son fils: "Je vous prie de me pardonner. Je n’ai rien fait de mal dans ma vie. Jugez-moi de façon équitable et vous pourrez gouverner mon royaume avec justice."
C’est ainsi que se termina cette histoire.
De retour au château de la princesse, ils lèvent une armée et déclarent la guerre à l’empereur. Son armée est détruite et il est totalement vaincu.
Cette dernière étape de la maturation du prince est nécessaire: il doit encore accomplir quelque chose pour devenir un homme mûr et conscient. Il doit se détacher de ce qui est ancien, dépassé, de ce qui menace le renouveau, c’est-à-dire son père. Il doit rompre totalement ce lien négatif et détruire ce qu’il représente, c’est-à-dire le vieux principe collectif qui menace son couple et l’empêche de progresser.
Souveraineté
Dans certaines situations, il faut se séparer totalement du passé, et "laisser les morts enterrer les morts". L’empereur ne peut pas assimiler ce qui est nouveau. Ce qui est vieux et rigide ne peut pas intégrer ce qui est neuf. L’empereur doit donc être vaincu.
Ce n’est qu’après cette ultime victoire que le prince peut vivre enfin avec la princesse sa femme, et que leur union peut être incarnée dans la réalité.
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