Destin de femme: Noyée et sauvée - "La femme-squelette"

Vie dans igloo

 

ÉLÉMENTS D’ANALYSE DE "LA FEMME-SQUELETTE" (conte inuit)

 

Il était une femme qui avait déplu à son père d’une manière ou d’une autre. Alors, son père l’avait traînée jusqu’à la falaise et précipitée dans la mer. Les poissons avaient mangé sa chair et ses yeux. Et elle gisait sous les eaux, son squelette ballotté par les courants. 

Un jour, arriva un pêcheur, entraîné loin de chez lui: il ignorait que les autres pêcheurs se tenaient à l’écart de cette crique, prétendant qu’elle était hantée.

Pêcheur debout dans barque-Peinture

 

Ce conte inuit ancien - et pourtant d'une étonnante modernité - débute par l’exposé d’une femme disparue dans l’eau et réduite à un état misérable par son père. Puis survient un pêcheur qui la découvre.

Cet homme et cette femme se rencontrent dans des circonstances tout à fait étranges et inaccoutumées. Mais ils ont besoin chacun l’un de l’autre pour se transformer, se libérer et s'éveiller à l'amour.

Découverte de la "femme-squelette"

Femme-squelette-Stephane Koidl

 

La femme-squelette est en état de mort, totalement désincarnée. Le responsable en est son père qui lui a jeté une malédiction. 

Elle a donc un problème grave avec le masculin. 

Cette femme représente également le féminin du pêcheur: cela signifie que son féminin, son âme ("anima" selon JUNG) est mort en lui. Il a un problème avec le féminin: c’est pourquoi il attire et rencontre une femme-squelette.

La mort est souvent représentée par un squelette: une femme maigre qui moissonne avec sa faux, appelée la "grande faucheuse". 

La mort, la "grande faucheuse"

Femme grande faucheuse

 

Mais le SQUELETTE ne figure pas systématiquement la mort définitive: ici, il n’est qu’une petite mort provisoire annonciatrice d’une vie nouvelle. D’ailleurs, la plupart des rêves de squelette annoncent un événement soudain qui va transformer notre vie. Et, lorsque cela survient, on éprouve de l’angoisse et de la peur: la peur du changement et de l’inconnu.

Dans l’antiquité, les figures de squelettes étaient courantes lors des agapes et des fêtes. Au Moyen-Âge, on se livrait à des danses macabres lors des épidémies de peste qui faisaient de nombreux morts. Le squelette représentait la vie éphémère dont il fallait jouir avant de mourir.

Dans les sociétés anciennes, la femme-squelette est une déesse de la mort et de la vie qui a la faculté de renaître. La vie était cyclique chez les peuples anciens. Ils vivaient dans un TEMPS CYCLIQUE où la mort était toujours suivie d’une renaissance.

Il serait intéressant de faire une comparaison avec notre conception moderne du TEMPS LINÉAIRE. 

Dans le temps cyclique des sociétés antiques et traditionnelles, on vivait dans un "éternel retour" des choses. C’était rassurant et sécurisant pour les êtres humains.

Alors que dans notre société, on vit dans un temps linéaire où rien n’est jamais censé revenir et qui a donné lieu à notre culte outrancier du progrès. Nous sommes convaincus, non sans crédulité et aveuglement, que les choses ne se reproduisent jamais, alors qu’elles se répètent avec une régularité inexorable - telles les guerres, les massacres, les régressions, la barbarie…  Et malgré cela, nous continuons de croire en toute bonne foi, après chaque période dramatique, que nous allons progresser et que cela n’arrivera jamais plus. Il semble que notre monde soit dominé par un manque de conscience collective qui provoque l’éternel retour des choses, en dépit du "progrès" auquel nous croyons.

Le pêcheur confronté à la mort

Or, voilà que le hameçon du pêcheur se prit dans les os du squelette de la femme. "Oh, se dit-il, je tiens là une belle prise!" Tandis qu’il se battait avec ce poids énorme, la mer se mit à bouillonner, secouant son kayak, car la femme squelette se débattait pour tenter de se libérer. Plus elle luttait, plus elle s’emmêlait dans la ligne. S’étant retourné pour rassembler son filet, le pêcheur ne vit donc pas son crâne chauve apparaître, ni les petites créatures coralliennes qui scintillaient dans ses orbites, ni les crustacés sur ses vieilles dents d’ivoire. 

Quand il se retourna, le corps entier avait émergé et était suspendu à son kayak par ses longues dents de devant. 

 

Ayant attrapé quelque chose, le pêcheur croit à une "bonne prise", mais il ne ramène pas de poisson. Attachée à sa ligne, il y a un horrible squelette de femme.

 

"Aooooh!" cria-t-il de terreur. Il lui assena un coup de pagaie et se mit à ramer comme un fou vers le rivage. Mais il ne s’était pas rendu compte qu’elle s’était entortillée dans sa ligne, et il était de plus en plus terrifié. Il avait beau faire des zigzags, elle suivait. Son haleine dégageait des nuages de vapeur, et ses bras se tendaient comme pour le saisir. 

 

Soudain, le pêcheur doit affronter la mort sous la forme d’une femme morte, ce qui est une expérience pour le moins terrifiante.

Sur le plan psychologique, il doit prendre conscience de son propre féminin qui est mort, de la mort de son âme, ainsi que de l’aspect cyclique de la vie avec sa possibilité de mort et renaissance. 

Il doit intégrer cette insupportable vérité: derrière toute forme vivante, se dissimule la mort, symbolisée par le squelette. 

La femme-squelette surgit de l’eau, c’est-à-dire de l’inconscient: elle est donc un contenu archétypique de l’inconscient qui s’éveille en lui.

Cette femme s’est retrouvée dans cette situation en raison d’une malédiction jetée par son père: en la jetant à l’eau, son père l’a rejetée dans l’inconscient, l’a refoulée, et l’a laissée dépérir et mourir d’inanition. Et en rejetant sa fille, le père a laissé mourir son propre féminin, son âme.

C’est le pêcheur qui va la retrouver et la libérer: le pêcheur est une figure archétypique, comme le chasseur ou le berger.

Dans le christianisme, on parle de pêcheurs d’hommes. Pêcher un homme, c’est le ramener à la conscience, le ramener de l’inconscience à la conscience, lui redonner vie, le faire renaître.

Fuite du pêcheur terrifié

"Aooooh!" gémit-il en touchant terre. Il bondit hors de son kayak et se mit à courir, tenant sa canne et entraînant à sa suite le cadavre de corail blanc de la femme squelette, toujours emberlificotée dedans. Il escalada les rochers, elle suivit. Il courut sur la toundra gelée, elle suivit. Il piétina le poisson qu’il avait mis à sécher, le réduisant en pièces, elle suivit et s’empara au passage d’un peu de poisson pour le manger, car il y avait longtemps qu’elle n’avait pas mangé. 

Enfin, le chasseur atteignit son igloo et plongea à l’intérieur comme un fou. Hors d’haleine, il resta à hoqueter dans l’obscurité, le cœur battant. 

 

Terrifié par sa prise, le pêcheur se réfugie dans son igloo, en espérant avoir échappé au danger.

Les hommes sont souvent trop naïfs et ignorants pour connaître l’inconscient et ce qui se dissimule dans l’inconscient. En général, les jeunes hommes désirent une femme belle et séduisante qui représente leur "éternel féminin". Ils rêvent d’un amour idéal facile, qui ne nécessite ni efforts ni épreuves.

Jusqu’à ce qu’un jour, ils tombent sur une femme-squelette…

Au début, l’amour idéal apparaît souvent sous la forme d’un squelette, c’est-à-dire de quelque chose de décharné, d’atrophié. Et ce squelette doit être nourri, entretenu, alimenté pour devenir un véritable amour, pour que son corps devienne "de chair", un corps féminin.

En réalité, les hommes doivent intégrer le féminin dans sa totalité. Et pour cela, ils doivent rencontrer la mort. Cela renvoie au mystère des anciennes déesses-mères qui incarnent le féminin.

La femme vit selon ses propres cycles lunaires - la vie-mort-renaissance - et si un homme ne peut comprendre et accepter ce principe féminin, il ne peut ni aimer une femme, ni intégrer le féminin et son âme. Il restera incomplet et inconscient.

Sur le plan collectif, tant que le féminin n’aura pas été intégré par le masculin, il n’y aura ni amour vrai dans le monde, ni changement et évolution. Par exemple, les êtres humains continueront à détruire la nature, car la nature est profondément liée au féminin.

Dans le conte, l’homme et la femme sont emmêlés, enchevêtrés. Le pêcheur a beau fuir, la femme squelette reste accrochée à sa ligne et attachée à lui. Elle trouve même le moyen de se nourrir de poisson au passage, ce qui lui redonne un peu de force.

Couple dans vagues

 

C’est la situation-type du couple où l’on fuit l’autre. Plus on fuit, plus l’autre s’accroche à nous, est dépendant de nous. Mais parfois, il est nécessaire de s’accrocher quand un homme fuit: cela dépend de chaque relation.

Ici, la femme s’accroche à bon escient et avec justesse.

Fuir l’autre a de nombreuses raisons: peur de s’engager, de donner, de recevoir…

En vérité, c’est la mort que l’on fuit, car l’amour est mortel. On craint de voir l’amour mourir, alors on préfère ne prendre aucun risque. Ainsi, on ne risque pas la déception, la désillusion, la rupture ou la mort. Mais, ce n’est qu’en prenant un tel risque que l'on peut faire l’expérience d’une relation vraie et vivante. Même si cette relation est destinée à mourir, elle était, au moment où elle a surgi dans notre vie, une expérience nécessaire sur le chemin vers nous-même et notre croissance. 

Malheureusement, de nombreux hommes se débarrassent de la femme-squelette pour se réfugier dans leur abri, y retrouver leur sécurité, leur univers protégé et protecteur.

Les dieux du pêcheur

Enfin en sécurité, grâce aux dieux, grâce au corbeau, grâce à Sedna, la Toute-bienfaisante... 

 

Dans son igloo, se sentant enfin en sécurité, le pêcheur remercie dieu, sous la forme du corbeau et de la déesse Sedna.

Chez les Inuit, le corbeau est un fripon, une créature cupide, à la fois prudente et avide, qui aime les plaisirs et fuit l’incertitude. Il fait preuve de gloutonnerie pour assouvir ses désirs immédiats. 

Quant à SEDNA, elle est la grande déesse des Inuit: la déesse des eaux, la déesse de la création, une magicienne appelée une "Angakok", "Sedna la mutilée" et "celle qui ne voulait pas se marier". 

Sedna est la fille d’Anguta, le dieu-père et elle a refusé tous les prétendants qui se présentaient à elle - ce qui est dû au masculin négatif chez une femme. Sedna a épousé un chien et son père, furieux, a tué son gendre et a jeté sa fille à l’eau lors d’un naufrage, pour sauver sa vie et éviter que sa barque ne chavire. Elle s’est cramponnée à la barque et son père lui a alors coupé les doigts qui sont devenus des poissons. Finalement, elle s’est installée au fond de la mer, et c’est ainsi qu’elle est devenue la grande déesse du monde sous-marin.

Sa destinée est semblable à celle de la "femme-squelette".

 

Déesse Sedna

Psychologiquement et collectivement, Sedna représente la force féminine négligée et niée. Si elle renaît, elle devient une énergie intuitive qui permet d’assumer la vie et ses épreuves. 

Une femme qui a intégré cette énergie "sait" à quel moment précis une chose doit mourir, naître ou renaître. Cela est une faculté féminine. Les hommes qui découvrent une telle femme dans leur inconscient et la ramènent à la conscience, intègrent également cette faculté.

On peut en déduire que la femme-squelette a le même problème que la déesse Sedna, à l’exception des doigts coupées. Elle aussi a désobéi à son père, au pouvoir masculin, et celui-ci l’a cruellement punie.

La femme-squelette a donc un complexe-père très négatif qui la rend totalement passive et inerte. Et elle a besoin d’être sauvée par un homme.

Dans ce conte, le problème du masculin chez la femme est plus simple, primaire, moins différencié que dans les contes occidentaux plus récents. Mais il s’agit d’un problème similaire: il vient de la punition du père. 

Il est intéressant de constater que, même dans cette société très ancienne, la loi du père, la loi patriarcale, est dominante; et sa transgression a des conséquences tragiques pour la femme.

Tout comme il est intéressant de découvrir l’identité entre la destinée individuelle de la femme-squelette et la destinée féminine collective, sous la forme de la déesse Sedna.

Dénouer la "femme-squelette"

Mais, lorsqu’il alluma sa lampe à huile, il vit qu’elle était toujours là, recroquevillée sur le sol, un talon par dessus l’épaule, un genou entre la cage thoracique, un pied sur le coude. Plus tard, il serait incapable de dire ce qui le poussa, peut-être le fait qu’il était seul. Quoiqu’il en soit, il tendit doucement ses mains et, avec les mots d’une mère à son enfant, il se mit à la désenchevêtrer de la ligne. 

Il travailla jusqu’à la nuit, puis la vêtit de fourrures pour lui tenir chaud. Et les os de la femme étaient tous dans l’ordre qui convenait. 

Puis il fit un feu en la regardant. Elle, dans ses fourrures, ne disait mot; elle n’osait pas, de peur qu’il ne s’empare d’elle et la rejette à l’eau. 

 

Après sa grande frayeur, le pêcheur décide de démêler la femme-squelette, de la dénouer. Il remet tout à sa juste place, ce qui signifie qu’il remet de l’ordre en elle.

Les contes nous disent que si l’on établit un contact juste avec la sorcière ou l’animal, la laideur ou l’ombre, on finit toujours par être récompensé, par obtenir quelque chose. Mais si on les rejette, on est puni. La raison en est la justice immanente qui se manifeste et punit les attitudes fausses, artificielles, cruelles, le refus de faire du bien à ce qui n’est pas beau, à une bête ou à un squelette, comme dans ce conte.

On pourrait s’interroger sur la différence entre le beau et le laid: ces catégories dépendent des époques et des sociétés qui ont, chacune, leurs critères de beauté et de laideur sur le plan esthétique et moral. 

Mais, notre manière d’aimer l’autre est-elle belle? Notre manque d’honnêteté et d’intégrité est-il beau? Notre infantilisme, nos illusions vaines, nos demandes et attentes puériles sont-ils beaux? Notre civilisation narcissique basée sur l’esthétisme, l’artifice, le paraître, l’image est-elle vraiment belle? 

La réunifier

Lorsque le pêcheur démêle la femme-squelette, il découvre la vraie beauté de cette femme, son essence. Il la touche, la soigne, la rend entière. 

En dénouant les nœuds de la femme squelette, ses nœuds intérieurs, il accomplit un premier acte d’amour: dénouer un nœud, défaire un nœud signifie comprendre et clarifier quelque chose en soi.

Un squelette comprend de multiples os articulés et reliés harmonieusement entre eux: si l’un d’eux est déboîté, le corps entier en subit les conséquences. Les os constituent la charpente du corps, son élément primordial et éternel, à la fois ce qui existe au début et ce qui continue de vivre après la mort. L’os contient aussi la moelle, la "substantifique moelle" de Rabelais, pour qui "briser l’os et sucer la substantifique moelle" équivaut à une renaissance. 

Les os de la femme-squelette sont en grand désordre car elle n’est pas en ordre avec elle-même. Elle n’est pas unifiée. 

Psychiquement, le féminin du chasseur est en piteux état, et c’est à lui de le remettre en ordre, de le réhumaniser, d’en faire une femme vivante.

En réalisant cela, le pêcheur apprend que tous les éléments sont reliés: il apprend comment trouver l’unité intérieure. Et, en découvrant les divers aspects de la femme, les articulations de son être, il apprend aussi à attendre, à patienter, à persévérer.

Peu à peu, il cesse d’avoir peur d’entrer en contact avec l’autre, avec l’inconnu, et avec la laideur apparente.

Abandon au sommeil et aux larmes

L’homme commença à somnoler: il se glissa sous les peaux et se mit à rêver. Dans son sommeil, une larme perla à sa paupière. 

 

Après avoir démêlé la femme, le pêcheur se sent en sécurité et peut s’endormir, se laisser aller dans son inconscient, dans son monde intérieur. 

Grâce au sommeil qui ressemble à une petite mort, le pêcheur se régénère, se transforme, devient libre.

 

Quand la femme squelette vit la larme briller à la lueur du feu, elle eut soudain terriblement soif. Elle déplia ses os et se glissa vers l’homme endormi, puis posa sa bouche sur la larme. Cette unique larme fut une rivière à ses lèvres assoiffées. Elle but encore et encore, jusqu’à ce qu’elle eût étanché la soif qui la brûlait depuis longtemps. 

 

Dans son sommeil, le pêcheur verse une larme. La femme-squelette est assoiffée et s’abreuve à cette larme comme à une source vive.

La larme a un pouvoir de guérison et d’union: la médecine des plantes utilise les larmes comme un liant, pour fixer les éléments, unir, joindre.

Dans les contes, les larmes font souvent fuir le mal. Asperger avec des larmes fait venir les esprits. Les larmes guérissent les lacérations et rendent la vue. Sur le plan spirituel, avoir le "don des larmes" est considéré comme une bénédiction. 

On retrouve ici le symbole de l’eau vive, de l’eau qui guérit, qui fait renaître, l’eau des sources sacrées: dans les Évangiles, le Christ rencontre la Samaritaine au bord d’un puits et lui demande à boire en lui disant: "Quiconque boit de cette eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif, cette eau deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle."

La larme du pêcheur est une larme de compassion et d’amour: "compassion" signifie "souffrir avec". Et c’est la larme la plus difficile à verser pour les gens endurcis et rigides qui ne savent plus pleurer, s’abandonner à leurs sentiments. Cette larme prouve la transformation intérieure du pêcheur. 

Ainsi transformé, il peut nourrir la femme-squelette: si le pêcheur n’avait pas pleuré, elle n’aurait peut-être pas eu le courage de s’approcher de lui. Elle serait restée une créature sans chair, et le pêcheur ne se serait pas réveillé à l’amour.

La larme représente précisément ce qu’une femme attend d’un homme: qu’il affronte ses blessures, ses souffrances et que ses larmes coulent spontanément.

Alors il acquiert la faculté de devenir son propre thérapeute, sans attendre d’une femme qu’elle joue le rôle d’infirmière, de mère, de tranquillisant, de "repos du guerrier"… Seul l’homme qui a découvert et accepté ses blessures peut se guérir, aimer et progresser. 

Le pêcheur a atteint ce stade de maturité: il ne désire pas de l’amour d’une mère et du sein maternel, ni de l’infirmière. Il ne désire pas le pouvoir, la gloire, le sexe…

Il désire quelque chose de plus profond, car il est capable d’éprouver de la compassion pour lui-même, de se soigner, et de soigner l’autre, d’ouvrir son cœur à la femme-squelette. 

Eveil du coeur

Alors qu’elle était allongée près de lui, elle plongea sa main en lui et en extirpa le cœur, ce puissant tambour. Elle s’assit et tapa sur les deux côtés du cœur: boum, boum! 

Puis, elle se mit à chanter: "De la chair, de la chair, de la chair!" Et plus elle chantait, plus son corps se couvrait de chair. Elle chanta pour une chevelure, elle chanta pour des yeux, elle chanta pour des mains potelées. Elle chanta pour une fente entre ses jambes, pour des seins ronds et abondants, assez profonds pour tenir chaud, et pour tout ce dont une femme a besoin. 

 

Lorsque la femme-squelette est désaltérée, elle peut à son tour éveiller le cœur du pêcheur. Elle l’utilise comme un tambour, en tapant dessus et en chantant.

C’est une étape fondamentale de la rencontre entre cet homme et cette femme: il l’a sauvée, guérie, nourrie; et à présent, c’est elle qui éveille son cœur pour s’unir à lui.

Le cœur est l’organe central, l’organe vital de l’individu: il est aussi le centre de l’être, son centre psychologique et physiologique.

Le double mouvement du cœur (la systole et la diastole) symbolise le mouvement d’expansion et de contraction de l’univers. 

Le tambour est un symbole important dans les sociétés anciennes: le bruit du tambour émet le son primordial et rythme l’univers. Il est considéré comme sacré: il est oint, invoqué, on lui fait des offrandes. Les peuples des régions altaïques utilisent des tambours magiques pour leurs cérémonies religieuses et vivent des états d’extase. Le tambour est également utilisé dans les rites de passage et d’initiation.

Musique et chant

La femme-squelette utilise le cœur comme un tambour, un instrument de musique qui accompagne son chant. Elle opère ainsi la transformation et la renaissance du cœur du pêcheur, ainsi que sa propre transformation.

Elle perpétue un rituel sacré et initiatique: en utilisant le cœur du pêcheur, la femme utilise la psyché du pêcheur, l’esprit qui pense et crée, le masculin. Et le cœur va créer la chair de la femme-squelette. Elle scande ce mot de "chair" en tapant sur le tambour.

C’est également ce cœur qui fait de la femme-squelette une chanteuse-musicienne, une artiste: quand quelqu’un nous abandonne son cœur avec confiance, on devient créatif et vivant.

Dans les mythes, le chant guérit les blessures et attire les autres: en chantant, on soulage la douleur, on soigne, on appelle les autres, on évoque les morts, on les fait renaître. Le chant est souffle et rythme. Il a une origine mystérieuse et agit sur la conscience et l’inconscient. 

Dans de nombreux mythes de création, les dieux donnent aux humains un chant lors de la création du monde: ce chant a la faculté de les appeler et les prier. Chanter, c’est appeler les dieux.

Le chant crée un lien entre l’humain et le divin, le conscient et l’inconscient. Il éveille à un autre état de conscience, un état spirituel, mystique.

 

Notes de musique en mouvement

 

Le chant provoque aussi la magie, le charme: le mot "charme" vient du latin "carmen" qui vient de "canare" ("chanter"); "charme" signifie "chant, poésie"; dans l’antiquité, le chant et la poésie étaient liés et avaient une finalité magique; un "carmen" était un moyen d’ensorceler, de séduire.

Lorsqu’elle a terminé de chanter, le corps de la femme-squelette est entièrement reconstitué: elle est redevenue une femme entière et complète.

Guérison

Quand ce fut terminé, elle chanta pour ôter les vêtements de l’homme endormi, et se glissa dans le lit, contre lui. 

 

Couple endormi

 

Après avoir rendu au pêcheur son cœur vivant et transformé, la femme-squelette se couche à côté de lui pour s’unir à lui: donner son corps est la phase ultime de l’amour, et non la première phase comme souvent dans notre société.

Pour construire un véritable couple fondé sur un sentiment vrai, l’homme doit avoir la patience d’attendre que la femme se donne à lui. 

C’est un immense problème dans notre société où la relation commence souvent par une union sexuelle qui n’est pas un véritable don de soi.

Les divers stades de la relation de couple ne sont plus respectés. La femme devrait franchir toutes les étapes jusqu’à l’union des corps. Cela est un travail de création nécessaire avant l’union des corps et des âmes.

Transformation et union

Elle rendit à son corps le tambour magnifique, son cœur, et c’est ainsi qu’ils se réveillèrent l’un et l’autre emmêlés d’une façon différente, après cette nuit extraordinaire. 

Ceux qui ont oublié ce qui avait causé son malheur au départ racontent qu’elle s’en alla avec le pêcheur et qu’ils furent largement nourris par les créatures de la mer qu’elle avait connues durant son séjour sous l’eau. Et qu’ils furent heureux jusqu’à la fin de leur temps. 

 

Ce conte décrit une double transformation, celle du pêcheur et celle de la femme squelette.

Le pêcheur va vers l’amour en acceptant la femme-squelette et la femme-squelette renaît grâce à l’attitude du pêcheur qui ne la rejette pas.

Ce conte nous montre comment établir un lien avec ce qui nous fait peur: seul le cœur, ce tambour qui résonne en nous, peut éveiller l’amour et sauver le féminin perdu, rejeté, maudit…

 

Couple eskimo devant igloo

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