Enigme du couple: Couple idéal et désincarné - "Eros et Psyché"
- Par kleiberpat
- Le 13/10/2020
- Dans Que nous révèlent les contes et mythes?
ÉLÉMENTS D’ANALYSE D'"ÉROS ET PSYCHÉ" (extrait de "L’âne d’or" d’Apulée)
Ce conte est extrait d’un ouvrage important, "L’âne d’or ou les métamorphoses", d’un l’auteur romain du 2è siècle après J.C., Apulée.
Initié aux Mystères d’Éleusis, Apulée a participé aux cultes à mystères. "L’âne d’or" en est imprégné. Il s’agit d’un ouvrage complexe sur le voyage initiatique du héros Lucius. De nombreuses histoires parallèles illustrent le récit principal, dont le conte "Éros et Psyché" qui apparaît au moment précis où Lucius vit une histoire d’amour avec une femme.
Ce conte illustre à la fois la psychologie de la femme et de l’homme, et celle du couple: le masculin chez la femme, le féminin chez l’homme, l’ombre féminine sous la forme des soeurs de Psyché, la relation mère-fils figurée par Vénus et Éros.
On peut le considérer comme une version très ancienne de "La belle et la bête", mais avec des différences significatives, notamment dans le parcours de l’héroïne et l’intervention de la mère du héros.
Psyché doit entreprendre un long voyage initiatique, voire descendre en enfer, ce qui est rare pour une femme. Mais, à chaque étape de son voyage, Psyché bénéficie d’une aide miraculeuse qui lui évite de se battre directement, contrairement aux héros masculins.
Elle subit également des épreuves typiquement féminines, comme le tri des céréales fréquent dans les contes. Pour cela, elle doit utiliser ses facultés féminines: la patience, la persévérance, une certaine passivité et adhésion à son destin, l’intuition… Et ce, jusqu’à ce que le conflit entre le féminin et le masculin se résolve en elle, et que l’unité se réalise.
Éros signifie le "désir amoureux": à l’origine, il est un dieu primitif adoré sous la forme d’un phallus de bois ou de pierre. Chez les Grecs, Éros est un demi-dieu, proche du "daïmon" des Grecs, un intermédiaire entre les mortels et les immortels.
Pour Jung, Éros est l’enfant éternel ou l’éternel adolescent. En tant qu’enfant intérieur, il est aussi un symbole du SOI, dont il figure la source de création et de vitalité, les facultés émotionnelles et celles de créer des liens. Éros représente l’attirance pour l’autre sexe et la possibilité d’établir une relation juste avec lui. Rêver d’un enfant ou d’un jeune homme est souvent signe qu’il se prépare quelque chose d’important dans notre vie, que quelque chose de neuf est en gestation.
Il n’y a pas de réel processus de maturation sans expérience de l’amour, car l’amour torture et purifie l’âme. Souvent, on aimerait fuir la personne qui nous tourmente et nous rend dépendants, mais Éros nous contraint, en vivant cette relation jusqu’au bout, à devenir plus conscients.
Éros est lié à Aphrodite-Vénus: en tant qu’archétype de l’enfant divin, il est le compagnon naturel d’Aphrodite. Aphrodite a conçu Éros avec Arès-Mars, le dieu de la guerre. Il est donc le fruit d’une union des contraires: l’amour et la guerre.
En grec, "psyché" signifie le "souffle vital", "l’âme" et le "papillon". Dans ce conte, c’est l’aspect humain de Psyché qui prédomine.
Qui est Psyché?
Il était une fois un roi et une reine qui avaient trois filles d’une grande beauté. Mais la cadette, Psyché, supplantait en beauté les aînées par sa beauté éclatante. À tel point qu’une foule béate d’admiration la considérait comme une déesse. Cette croyance se répandait et les cultes voués à la déesse Vénus furent de plus en plus négligés.
Les prières étaient désormais adressées à la jeune fille, ce qui excita la colère de Vénus: "Me voilà donc, moi, Vénus, s’exclama-t-elle, contrainte de partager avec une fille mortelle les honneurs dus à ma majesté, et mon nom se trouve profané par les vils contacts de la terre! Je ferai en sorte que sa beauté lui donne lieu de se repentir."
Un roi et une reine ont 3 filles, les "rois filles" très répandues qui évoquent les triades de fées ou les trois âges de la vie…
Dans ce conte, la plus jeune des filles, Psyché, est si belle qu'elle devient une incarnation de Vénus sur terre. Cette situation d’idole, de "star" l'isole et il lui est impossible de trouver un mari, contrairement à ses sœurs.
La déification de Psyché
Cette situation renvoie au problème du masculin chez la femme.
Une femme possédée par son masculin n’a pas d’homme dans sa vie et ne peut vivre une vie normale avec un homme. Cela est issu d’un complexe-père qui la pousse vers des activités intellectuelles et spirituelles, le domaine de l’esprit.
Cela n’est pas totalement négatif, puisque la possession par l’animus peut être résolue par une activité créatrice.
Ici, ce n’est pas le cas. L’isolement de Psyché fait naître une inflation psychique, une forme de mégalomanie, une identification à la divinité.
Cela évoque les cas de mégalomanie où quelqu’un se prend pour un personnage célèbre et, dans une moindre mesure, les phénomènes d’adulation, d’idolâtrie, de "starification", d’identification à des personnages célèbres et connus.
Actuellement, cela est très fréquent chez les jeunes et les moins jeunes qui sont "fan" de stars, ou désirent être une star, une étoile, voire un dieu (les "dieux du stade"...) ou une déesse.
En conséquence, Psyché suscite la jalousie et l’envie, particulièrement celle de Vénus.
La réaction de Vénus
Elle appela son fils, le petit Éros qui court ça et là, armé de flammes et de flèches, brouillant les ménages et commettant des actes abominables. Elle le stimula par ses paroles, le conduisit dans la ville où vivait Psyché et la lui montra. Puis elle lui dit: "Au nom de l’amour maternel qui m’unit à toi, je t’en conjure, assure à ta mère la vengeance, et une vengeance entière, et punis sévèrement cette beauté insolente; je te demande de faire une seule chose: que cette vierge soit possédée d’amour pour le dernier des hommes, un homme maudit par le Sort et si vil que, par le monde entier, l’on ne puisse trouver un être qui l’égale en misère."
Dans ce conte, Vénus est la mère d’Éros.
L’homme est imprégné par la mère dès sa naissance: celle-ci est la première image féminine qui va imprimer en lui les attitudes et les comportements qu'il développera vis-à-vis des autres femmes.
Le problème pour l’homme dont la conscience n’est pas éveillée est que sa mère - et son féminin intérieur - se confondent dans son inconscient. Par conséquent, lorsqu’il s’intéresse à une femme, il projette son féminin sur elle.
C’est la situation d’Éros qui est "possédé" par sa mère. Vénus, au contraire, se sent dépossédée de sa divinité par une simple humaine. Elle demande donc à Éros son aide pour détruire cette rivale gênante, en lui ordonnant de faire en sorte que la jeune fille tombe amoureuse du plus horrible et monstrueux des hommes.
Mais Éros tombe amoureux de Psyché et décide de prendre lui-même la place de cet homme monstrueux.
Il projette son féminin sur cette jeune fille-déesse qui ressemble tant à sa mère Vénus.
Annonce d'un mariage monstrueux
Psyché ne recueillait cependant pas le fruit de sa beauté et de sa renommée: ses sœurs étaient déjà mariées, alors qu’elle était toujours esseulée et pleurant de solitude. Son père alla consulter un oracle qui lui dit: "Sur un rocher, tout au sommet du mont, va exposer ta fille, soigneusement parée pour un hymen funèbre. N’espère pas un gendre né d’une race humaine, mais un monstre cruel, féroce et serpentin."
Le roi eut beau se désoler, le temps vint où il fallut accomplir l’oracle. On fit sortir Psyché, accompagnée du peuple, pour aller non vers ses noces mais vers ses obsèques. Pour consoler son père et sa mère, elle les exhorta: "Vous avez là la digne récompense de mon incomparable beauté. C’est le coup mortel d’une Envie criminelle dont vous sentez, trop tard, l’effet. Je le comprends, c’est ce seul nom de Vénus qui me fait périr. Accompagnez-moi et abandonnez-moi sur le rocher désigné par l’oracle."
Selon l’oracle - cet intermédiaire entre le conscient et l’inconscient -, Psyché doit être livrée à un monstrueux serpent et exposée sur une montagne, au risque d’en mourir.
Psyché s’est identifiée à des valeurs trop élevées et divines. C’est ainsi qu’elle a attiré sur elle-même son funeste destin.
Jung exprime clairement ce processus: "Ce qu’on ne veut pas savoir de soi finit par arriver de l’extérieur comme un destin."
Psyché sauvée par Eros
Psyché, effrayée, tremblante, en larmes, sentit alors la douce brise d’un Zéphyr qui, d’un souffle caressant, fit d’abord frémir la frange de sa robe, puis l’emporta sur son haleine paisible, au- dessus des pentes rocheuses d’une profonde vallée, au fond de laquelle il la déposa sur un gazon fleuri.
Psyché s’abandonna à un doux sommeil. Lorsqu’elle s’éveilla, elle vit un bosquet d’arbres et au milieu, un palais somptueux fait d’or et de pierres précieuses qui semblait construit non de mains d’homme mais par un art divin.
Exposée sur la montagne comme si elle devait affronter par anticipation l'expérience de la mort, Psyché est sauvée par Éros et emportée dans un autre monde, surnaturel, magique et divin.
Attirée par le charme infini de ces lieux, Psyché s’approcha et franchit le seuil: elle fut surprise de n’y voir ni chaîne, ni barrière, ni gardien pour garder les trésors qui s’y trouvaient. Alors qu’elle contemplait ces merveilles, une voix se fit entendre: "Pourquoi, Maîtresse, rester ainsi stupéfaite devant toutes ces richesses? Tout cela est à toi. Nous, dont tu entends la voix, et qui sommes tes servantes, nous t’obéirons de tout notre zèle et lorsque tu auras fait ta toilette, un repas royal te sera servi."
Psyché comprit qu’une protection divine désirait assurer son bonheur et elle obéit à la voix. Après un repas magnifique, quelqu’un entra et chanta sans se montrer, puis quelqu’un d’autre joua d’une cithare.
Amour idyllique avec Eros
À l’issue de ces plaisirs, Psyché se retira et se coucha. La nuit était déjà avancée lorsqu’un léger bruit parvint à ses oreilles. À peine eut-elle le temps de s’inquiéter que le mari inconnu était là et avait fait d’elle sa femme, avant de se retirer sans bruit. Il en fut ainsi un long temps et Psyché finit par s’habituer à cette voix désincarnée qui lui était une consolation dans sa solitude.
Psyché vit une relation irréelle avec Éros qu’elle ne voit pas et qui vient lui rendre visite chaque nuit.
Toute relation amoureuse débute par cet état idyllique, irréaliste, paradisiaque, où l'on se sent "sur un petit nuage".
Ne pas avoir le droit de regarder son mari est révélateur de cet état. Ne pas voir la réalité, ne pas être conscient, avoir des illusions correspond à l’état amoureux. Dans cet état, l’amour est aveugle et donne des ailes.
Ce ne sont pas deux êtres conscients qui se rencontrent, mais les archétypes du masculin et du féminin qui sont inconscients. Cela peut être une entrave à l’amour lorsqu’il devra s’incarner et se confronter à la réalité.
Psyché revoit ses soeurs
Cependant, ses parents vieillissaient et ses deux sœurs étaient venues les voir pour les réconforter. Ce soir-là, son mari lui dit: "Ma tendre Psyché, ma femme chérie, la Fortune irritée te menace d’un terrible danger, et tu dois essayer de t’en prémunir. Tes sœurs, émues par le bruit de ta mort et cherchant la trace de tes derniers pas, se rendront au rocher que tu sais; si par hasard tu entends leurs lamentations, ne réponds pas, et même ne regarde pas du tout par là; autrement, tu seras cause, pour moi, d’une profonde douleur et pour toi-même d’une épouvantable catastrophe."
À force de prières, elle arracha à son mari son consentement: voir ses sœurs, adoucir leur chagrin, leur parler. Mais il renouvela ses avertissements et la mit en garde, si jamais ses sœurs lui donnaient ce funeste conseil, contre toute tentative pour connaître la figure de son mari.
Les sœurs ayant appris où était le rocher, s’y précipitèrent et pleurèrent si violemment que Psyché sortit en toute hâte du palais et les enjoignit de mettre un terme à leurs lamentations. Puis elle appela Zéphyr qui les transporta jusqu’au palais. Là, elle leur montra sa maison d’or. En voyant cette profusion de richesses assurément divines, elles devinrent envieuses, ne cessant de demander qui était le maître d’une telle maison.
Mais Psyché leur fit des mensonges, en inventant un beau jeune homme qui passait son temps à la chasse. Elle les combla de présents et demanda à Zéphyr de les reconduire. Rentrées chez elles, les deux sœurs machinèrent une ruse criminelle contre leur sœur innocente.
Le mari de Psyché continuait à avertir sa femme: "Vois-tu quel est le danger où tu es? Deux mauvaises garces font tous leurs efforts pour te tendre un piège abominable. Aussi, si elles reviennent ici, n’engage pas la conversation avec elle et n’écoute rien. Car nous allons bientôt augmenter notre famille, et si tu sais garder le silence sur notre secret, l’enfant sera un dieu, et si tu le révèles, il sera mortel." Cette nouvelle rendit Psyché folle de joie. Elle applaudissait à cette consolation d’avoir une lignée divine et s’exaltait à la gloire de son enfant à venir.
Mais ses deux sœurs avaient déjà pris la mer, l’épée à la main, accompagnées d’une armée. Son mari lui demanda de ne point les recevoir. Psyché lui promit de ne pas céder à ses sœurs, mais le supplia de les voir avec tant de tendresse qu’il donna l’ordre à Zéphyr de les amener au palais.
À leur arrivée, elles flattèrent Psyché et lui firent mille compliments sur l’enfant qu’elle portait. Elles l’interrogèrent à nouveau sur son mari. Alors, Psyché, dans son extrême simplicité, oubliant ce qu’elle avait dit auparavant, répondit que son mari était de la province voisine, un marchand qui faisant d’importantes affaires, d’âge mûr.
Rentrées chez elles, les deux sœurs s’interrogèrent sur ce mari si soudainement transformé en vieillard et en conclurent qu’il s’agissait d’un dieu, et qu’il fallait empêcher que Psyché ne mît au monde un dieu.
Le lendemain, elles se hâtèrent à nouveau vers le rocher où Zéphyr vint les prendre comme à l’accoutumée pour les amener au palais. Elles firent à Psyché: "Ah! toi, tu es bien heureuse, l’ignorance même de ton malheur te permet de rester bien tranquille. Nous avons appris que c’est un serpent énorme, un monstre replié en mille nœuds, au cou plein d’un venin sanglant, la gueule béante et profonde, qui vient dormir, pendant la nuit, secrètement, près de toi. Rappelle-toi l’oracle pythique qui a proclamé que tu étais appelée à épouser un monstre épouvantable. Dès que ton ventre aura atteint la pleine maturité de sa grossesse, il te dévorera."
Cette situation idyllique et inconsciente ne peut pas durer indéfiniment. Elle va réveiller les aspects opposés, obscurs, incarnés par les deux soeurs de Psyché.
Après avoir vécu l'aspect merveilleux de l’amour, on doit retrouver le quotidien banal et ordinaire. Le paradis est "trop beau pour être vrai". Si l’on demeure dans cette illusion, il risque de se transformer en enfer.
L’ombre, symbolisée par les deux sœurs, revient à la charge et réveille la méfiance de Psyché. Les sœurs jalouses complotent et lui conseillent de transgresser la demande d’Éros et de le regarder, lui suggérant qu’il est un monstre serpentin qu’il faut tuer.
Psyché est extrêmement crédule et naïve. Éros lui-même ne cesse de le lui répéter. Mais elle n’en continue pas moins de vivre dans ce monde idéal qu’elle s’est créé, sans vouloir voir la réalité.
Elle n’a pas conscience de son ombre, de ses aspects obscurs. Elle n’est pas lucide au sujet de ses sœurs mesquines, étroites d’esprit, superficielles, obsédées par les richesses matérielles. Et elle suit leurs conseils.
Psyché n’est pas assez mûre et consciente pour unifier les deux aspects opposés de la vie, l'aspect divin et l’aspect humain. Unifier ces opposés en soi est la chose la plus difficile qui soit, car il s’agit d’un paradoxe intérieur que nous devons tenter de dépasser, de transcender.
Transgression de l'interdit d'Eros par Psyché
Alors, la pauvre petite Psyché toute simple et tendre, fut saisie de terreur à ces paroles sinistres. Ses sœurs perfides lui conseillèrent de dissimuler un rasoir aiguisé sous son lit, de prendre une lampe emplie d’huile qui donne une vive lumière, de la placer sous une marmite qui la recouvre, et de la dégager au moment où son reptile de mari arriverait, puis de lui trancher la tête avec le rasoir.
Psyché, dont le corps et l’âme n’étaient que faiblesse, malgré sa douleur, puisa des forces dans la cruelle volonté du destin, et sortit la lampe et s’arma du rasoir. Mais, dès que la lumière eut éclairé le mystère du lit, elle vit le plus charmant, le plus délicieux, l’Amour lui-même, le dieu de grâce, gracieusement étendu et endormi. Stupéfaite d’un tel spectacle, défaillante, toute pâle, elle se laissa tomber à genoux.
Tandis qu’elle examinait les armes de son mari, voici qu’elle tira du carquois une flèche et, pour en essayer la pointe sur l’extrémité de son pouce, se piqua, si bien que, à la surface de la peau, perlèrent des gouttelettes de sang. C’est ainsi que l’innocente Psyché, d’elle-même, tomba amoureuse d’Eros: enflammée de désir pour lui, elle se pencha, pleine de passion, et lui donna des baisers ardents, s’abandonnant. Mais la lampe laissa tomber du bout de sa flamme une goutte d’huile bouillante sur l’épaule droite du dieu; ainsi brûlé, il bondit et s’arracha sans mot dire, aux baisers et aux bras de son épouse désespérée.
Au moment où il s’élevait dans les airs, Psyché saisit à deux mains sa jambe droite et ainsi suspendue à lui, le suivit dans la région des nuages; puis épuisée, elle retomba sur le sol.
Disparition d'Eros
En regardant Éros, qu’elle prend pour un serpent, Psyché cause sa perte.
Sur le plan psychologique, si l'amour est trop inconscient et infantile, s’il régresse, il finit par devenir froid et inhumain.
Le serpent-dragon représente un contenu inconscient déshumanisé. En général, tout ce qui est inconscient est déshumanisé, particulièrement les couches les plus profondes.
Rendre conscients ces contenus inconscients consiste à établir un lien avec eux, ce qui permet de les comprendre, les assimiler et les humaniser.
Sur le plan religieux, c’est le sens du concept de "salut" ou "rédemption" chrétien. Humaniser l’inconscient primitif et archaïque consiste à ramener à la conscience ce qui subsiste en nous de notre nature primitive.
Conditionnée par son ombre, Psyché devient inhumaine et projette ses aspects obscurs sur Éros. Elle suit les conseils de ses sœurs "ombrageuses", prend une lampe à huile et un rasoir pour tuer Éros.
C’est alors qu’elle découvre la véritable nature de son époux et en tombe follement amoureuse. Cette découverte est si bouleversante qu'elle laisse tomber son rasoir, et qu’une goutte d’huile brûlante tombe de sa lampe sur Éros, ce qui le blesse. Elle-même se pique jusqu’au sang avec une flèche d’Éros qu’elle manipule.
Tous deux sont blessés.
La lampe, source de lumière, est un symbole de la conscience. La lampe de Psyché voit Éros comme un bel animal, un objet sexuel. C’est un regard limité qui chasse le dieu, le divin. L’huile fait souffrir Éros, parce qu’elle représente la passion brûlante, le désir de pouvoir sur l’autre, la possessivité, tout ce qui est contraire à l’amour.
C’est donc au moment où Éros la quitte que Psyché s'éveille à l’amour, et émerge de son univers paradisiaque et son inconscience.
Et c’est à ce moment que le récit devient tragique, avec la nécessité d’un chemin initiatique fait de souffrances et d’une confrontation douloureuse avec l’inconscient.
Désespoir de Psyché - Mort de ses soeurs
Désespérée, Psyché se précipita vers le fleuve le plus proche, mais celui-ci était bienveillant et il la saisit dans un tourbillon et la déposa sur sa rive couverte d’herbe et de fleurs. Il se trouvait que Pan, le dieu champêtre, était assis sur la berge du fleuve, tenant dans ses bras Echo, et lui apprenant à chanter. Lorsqu’il vit Psyché, il tenta de la consoler par de bonnes paroles et de l’exhorter à ne plus vouloir se donner la mort.
Psyché veut se tuer en se noyant, mais elle est sauvée par le dieu Pan, qui lui conseille d'honorer Éros et de le prier.
À l'origine, Pan était un esprit de la nature qui passait son temps à lutiner les bergères et les nymphes. Plus tard, quand les Romains ont intégré la culture grecque, Pan est devenu "to pan" qui signifie "le tout" car il incarnait une tendance commune à "tous", la synthèse du paganisme avec ce message "le grand Pan est mort". Celle-ci est passée dans la langage commun et signifie la décadence et la mort d’une société.
Psyché ne lui répondit pas mais adora sa divinité et poursuivit son chemin. Au crépuscule, elle arriva dans une cité dont le roi était le mari d’une de ses sœurs. Elle demanda à voir sa sœur et lui conta ce qui était arrivé et que son mari était le fils même de la déesse Vénus, rajoutant qu’il l’avait renvoyée et avait formé le dessein d’épouser sa sœur. Aussitôt, la sœur, éperdue de passion, se rendit au fameux rocher d’où elle se jeta dans le vide, car Zéphyr ne la porta pas comme les fois précédentes. La seconde sœur fut également punie de la même manière.
Eros puni par Vénus
Psyché se mit alors en quête de son Amour perdu. Lui, pendant ce temps, souffrant de la blessure que lui avait faite la lampe, était couché, gémissant, dans la chambre de sa mère. La mouette annonça la nouvelle à Vénus, lui disant pis que pendre de son fils. Vénus, se mettant en colère, s’écria: "Ainsi, mon excellent fils a déjà une maîtresse? Dis-moi le nom de celle qui a débauché ce garçon naïf et innocent. – Je crois que c’est une jeune fille qui s’appelle Psyché, répondit l’oiseau."
Elle se hâta d’aller voir son fils. "C’est du joli, s’exclama-t-elle furieuse, et cela va bien avec notre naissance et ta bonne conduite habituelle! Tu commences par traiter les ordres de ta mère, que dis-je, de ta souveraine, avec dédain, tu n’infliges pas à mon ennemie la torture d’amour, c’est toi, un enfant de ton âge, qui t’unis à elle par des étreintes coupables et trop précoces, et cela, sans doute, pour que je doive accepter, comme bru, la fille que je déteste. Sache que j’aurai un autre fils, bien plus sage que toi. Tu as été mal élevé depuis ta petite enfance, tu as les mains aiguisées, tu as maltraité irrévérencieusement tes aînés, et même ta mère, et tu ne redoutes nullement ton beau-père, ce valeureux guerrier! Plus d’une fois, tu as tourmenté mon cœur d’amante en lui fournissant des filles. Je vais demander du secours à mon ennemie, la Sobriété, que j’ai si souvent offensée à cause de ton intempérance, pour te châtier. Je me considérerai vengée lorsqu’elle aura rasé tes cheveux, dont j’ai bien des fois caressé l’or étincelant et qu’elle aura rogné ces plumes que j’ai, sur mes genoux, inondées de nectar!"
Éros est emprisonné par sa mère qui lui rogne ses ailes, ce qui équivaut à une castration.
Longue quête de Psyché
Psyché continuait d’errer sans fin, jour et nuit. Apercevant un temple au sommet d’une montagne escarpée, elle s’y rendit. À l’endroit où trônait le divinité, elle vit des épis de blé entassés et d’autres tressés en forme de couronne, ainsi que des épis d’orge; il y avait aussi des faucilles et un attirail de moissonneur, mais tout gisait pêle-mêle, à terre, dans le plus grand désordre. Psyché sépara avec soin tous ces objets, rangea chaque chose à sa place, estimant qu’elle ne devait négliger ni le temple ni le culte de sa divinité.
Elle fut surprise ainsi par la bonne Cérès qui poussa un cri: "C’est toi, malheureuse Psyché? Dans l’univers entier, Vénus, furieuse, cherche ta trace, brûlant de te livrer à tous les supplices, et toi tu t’occupes de mes affaires!" Psyché se prosterna devant elle, implorant son indulgence et la permission de se cacher parmi les épis en attendant que la fureur de Vénus s’apaise. Cérès lui répondit qu’elle ne pouvait la secourir, au risque d’encourir la colère d’une déesse avec qui elle était liée.
Psyché obéit aussitôt et parvint à un bois sacré, au fond d’un vallon, où s’élevait un sanctuaire. Elle y vit des offrandes précieuses et des étoffes avec des inscriptions d’or fixées aux branches des arbres. S’agenouillant, elle fit cette prière: "Sœur et épouse du grand Jupiter, toi que tout l’Orient vénère et que tout l’Occident appelle Lucine, sois, dans le danger extrême que je cours, Junon la Secourable; délivre-moi de la crainte du péril qui me guette." À ces mots, Junon se présenta à elle et lui répondit: "Je voudrais bien t’accorder ce que tu me demandes, mais contre la volonté de Vénus, ma bru, que j’ai toujours aimée comme une fille, je ne puis rien faire."
La femme mûrit en assumant et en supportant sa souffrance jusqu’à ce qu’elle parvienne à la dépasser.
Psyché est un exemple typique de ce processus. Elle accepte sa douleur et s’engage dans une quête périlleuse pour retrouver Éros.
Lors de chaque épreuve, elle bénéficie d’une aide inattendue qui correspond au niveau de maturation qu’elle a atteint, et lui montre l’attitude juste.
Après Pan, Psyché rencontre deux déesses - Cérès et Junon. Elle ne peuvent l’aider mais lui imposent des épreuves.
Pour Cérès, déesse de la fertilité, Psyché trie volontairement des graines, anticipant ainsi sur la première épreuve imposée par Vénus.
Psyché affronte Vénus
Psyché, glacée d’épouvante par ce nouveau naufrage de ses espérances, abandonna toute idée de salut et prit conseil d’elle-même: "Que puis-je maintenant essayer pour me sauver, alors que les déesses elles-mêmes, n’ont pu m’aider? La seule issue est de me rendre à Vénus et, ne serait-ce que par une soumission tardive, calmer sa fureur."
Mais Vénus avait renoncé à chercher sa victime par des moyens terrestres et gagné le ciel. Elle se dirigea vers la citadelle royale de Jupiter à qui elle demanda qu’il lui prêtât l’appui de son frère, le dieu Mercure. Elle demanda à Mercure de partir à la recherche de Psyché, mission qu’elle récompenserait de 7 doux baisers, plus un baiser de miel avec le bout de la langue. À l’idée d’une si délicieuse récompense, Mercure alla de peuple en peuple, s’enquérant partout de Psyché.
Epreuves imposées à Psyché par Vénus
Pendant ce temps, celle-ci était arrivée à la porte de Vénus. Elle croisa une servante qui la tança et la prit brutalement par les cheveux. Dès que Vénus l’aperçut ainsi, elle partit d’un grand éclat de rire: "Enfin, dit-elle, tu as daigné venir saluer ta belle-mère! À moins que tu ne sois venue voir ton mari qui souffre de la blessure que tu lui as infligée!" Elle fit appeler ses deux servantes pour qu’elles la torturent. Celles-ci fouettèrent la malheureuse Psyché, lui infligèrent d’autres tourments, puis la ramenèrent devant Vénus. "Ne voilà-t-il pas, s’exclama celle-ci, qu’elle cherche à m’apitoyer par le pouvoir de séduction de son ventre gonflé! Cet enfant naîtra bâtard, à condition toutefois que nous te permettions d’aller jusqu’à ton terme."
Puis, Vénus se précipita sur Psyché, déchira ses vêtements, lui assena de violents soufflets qui la meurtrirent. Ensuite, elle fit apporter du blé, de l’orge, du mil, du pavot, des pois chiches, des lentilles, des fèves et les mélangea en un seul tas. Elle dit à Psyché: "Tu vas trier ce monceau de semences, mettre à part chaque catégorie de graines, en un tas séparé; que le travail soit achevé avant le soir."
Vénus se déchaîne contre Psyché, la fait battre par ses domestiques, puis la fouette elle-même avec une implacable cruauté.
Cette attitude représente la jalousie de la mère négative, de la "belle-mère" marâtre vis-à-vis de la fille qui lui a volé son fils. C’est en raison de l’importance de la relation mère-fils que la "belle-mère" est devenue une figure archétypique.
Epreuve du tri des semences - Aide des fourmis
Comme Psyché désespérait de réaliser une tâche aussi fastidieuse, survint une petite fourmi des champs. Mesurant la difficulté d’un tel travail et saisie de pitié pour la compagne du dieu Éros, elle convoqua toute la troupe des fourmis du voisinage et leur demanda d’exécuter cette tâche. Aussitôt, de tout leur zèle, elles séparèrent le tas de grains, les classant par espèces et les rangeant. Lorsque Vénus vit le travail effectué, elle se moqua de Psyché et la laissa seule.
Trier des semences variées est une épreuve courante.
Psychologiquement, les graines mélangées représentent l'inconscient collectif aux multiples contenus, figures et images. Celles-ci sont innées en chaque être humain.
Pour mettre de l’ordre parmi ces graines variées et désordonnées, on doit utiliser la fonction "sentiment", c'est-à-dire la capacité de choisir ce qui est bon pour soi, de trouver et hiérarchiser ses valeurs, la faculté de discernement...
Si le sentiment fonctionne avec justesse, le résultat est positif. On reste fidèle à sa loi ou voix intérieure - à l'inconscient auquel l'on doit faire confiance. Cette fidélité, cette loyauté, cette intégrité est le stade le plus élevé du sentiment. Lorsqu’elle s’éveille en l’être humain, elle lui permet de prendre conscience de l'ordre secret qui règne au coeur du chaos de l'inconscient.
Pour Psyché, cette relation de confiance avec l’inconscient est représentée par l’intervention des fourmis qui l’aident à trier les graines.
La fourmi est proche des termites, des scarabées. Elle symbolise l'ordre secret de l'inconscient collectif, car la fourmilière a l’aspect d’un chaos où tout est ordonné.
Epreuve de la toison d'or des brebis
Le lendemain, Vénus fit appeler Psyché et lui dit: "Vois-tu ce bois qui s’étend le long des rives du fleuve? Là errent, sans gardien et paissent des brebis dont la toison s’orne de l’éclat de l’or véritable. Va chercher immédiatement un flacon de cette toison précieuse et apporte-le-moi. C’est un ordre."
Psyché partit sans résister. Soudain, du fleuve, un roseau verdoyant d’où s’élevait une musique mélodieuse, fit entendre sa voix: "Psyché, que tant de maux accablent, ne souille pas mes eaux sacrées en leur demandant une mort pitoyable, mais ne va pas non plus, à ce moment de la journée, aborder ces brebis féroces; lorsque le soleil de l’après-midi aura adouci ses ardeurs, et que le troupeau se reposera, dans l’air frais de la rivière, alors, il te sera possible de te dissimuler sous ce grand platane. Et, dès que les brebis, leur fureur apaisée, seront un peu calmées, tu battras les feuillages du bois et tu trouveras de la laine d’or, qui reste attachée, un peu partout, dans les troncs enchevêtrés."
C’est ainsi que ce roseau tout simple et compatissant enseigna à la malheureuse Psyché la façon de se sauver. Elle suivit ses instructions et déroba aisément un peu de la souple toison d’or qu’elle rapporta à Vénus.
Aide du roseau
La deuxième épreuve consiste à obtenir de la laine d'or des béliers du soleil qui sont sauvages et agressifs et ne peuvent être approchés que la nuit.
Psyché est aidée par le bruissement de roseaux.
Dans de nombreux contes, le roseau révèle un secret: il transmet la sagesse divine grâce au vent qui souffle à travers lui.
Le souffle des roseaux ressemble aux fourmis. Ce sont des étincelles de vérité et de sagesse qui nous parviennent de l'inconscient dans un murmure. Car la vérité ne se révèle jamais à voix haute. Pour entendre sa voix, il faut être silencieux et laisser l’EGO et son verbiage s’apaiser, en se mettant dans un état de méditation et d’attention profonde.
Le bélier est le premier signe zodiacal du printemps: il représente l'impulsivité, l’agressivité, l'action sans réflexion - des caractéristiques masculines.
Le maître du bélier est le dieu de la guerre, Mars. Un homme a souvent des difficultés à reporter une décision prise, il a besoin d'agir immédiatement. Attendre, patienter, laisser advenir les choses n'est pas une attitude masculine, mais féminine.
Or, Psyché est possédée par son masculin et doit recueillir la laine du bélier, en attendant patiemment le crépuscule.
Quand on est dominé par une émotion intense, il faut attendre le moment propice avant d’agir: s'interroger, se questionner et non se soumettre aveuglément à ses pulsions.
Epreuve de l'eau mortelle du fleuve Styx
Vénus ne voulut pas reconnaître l’heureux succès de cette seconde épreuve et elle demanda à Psyché: "Vois-tu, dominant ce très haut rocher, la cime de cette montagne escarpée? Il en sort l’eau sombre d’une noire fontaine qui se déverse dans le creux d’une vallée voisine et va alimenter les marais du Styx. Va tout de suite me puiser de cette eau glacée, au fond même de la fontaine, et rapporte-m’en une petite fiole."
Psyché se dirigea aussitôt vers la montagne. Dès qu’elle s’approcha de la crête, elle comprit la difficulté mortelle de l’entreprise: à droite et à gauche des trous de la roche, elle vit s’avancer en rampant les cous allongés de dragons féroces, dont les yeux ne se fermaient jamais.
Devant ce terrible danger, Psyché fut paralysée d’horreur. Soudain, l’aigle royal de Jupiter apparut planant, les ailes déployées, soucieux de venir en aide à l’épouse du dieu qu’il avait autrefois aidé. En frôlant Psyché, il lui lança: "Eh bien! Petite simplette, ignorante de ces sortes de choses, espères-tu pouvoir dérober ne serait-ce qu’une seule goutte de cette source? Mais donne-moi ta fiole." S’en saisissant dans ses serres, il passa entre les gueules aux dents menaçantes, recueillant les eaux qui protestaient et l’avertissaient d’avoir à se retirer.
Pour sa troisième épreuve, Psyché doit se rendre à la chute d'eau mortelle du fleuve Styx et en remplir un flacon de cristal. On s’approche ici de la mort.
Le fleuve Styx en grec est le nom de la plus ancienne des déesses, celle qui régit toutes choses. Son eau est mortelle et corrosive pour tout être humain ou tout animal. Les dieux eux-mêmes la craignent.
Psychologiquement, le Styx est l'aspect effrayant de la mère archétypique et de l'inconscient collectif qu’il n’est pas possible de modifier ou de manipuler avec sa volonté, car il est inexorable.
Psyché ne peut s’approcher de cette eau mortelle. Elle n’y parvient qu’avec l’aide de l’aigle de Zeus. L’aigle est l’oiseau royal par excellence et représente le soleil parce qu’il est le seul animal à pouvoir fixer celui-ci sans se brûler les yeux.
C’est une aide divine qui est ainsi donnée à Psyché, une aide de l’inconscient.
Dans une situation désespérée, si l’on tient bon, la situation s’inverse et devient positive. C’est la loi énergétique qui entraîne le renversement d’une chose en son contraire. On ne peut la provoquer qu’en allant jusqu’à l’extrême limite d’une chose, à partir de laquelle la situation s'inverse.
Epreuve de la descente en enfer - Confrontation avec la mort
Ayant ainsi reçu avec joie sa fiole, Psyché la porta à Vénus. Mais elle ne put, même alors, fléchir la volonté de la déesse furieuse qui lui dit: "Voici encore un service à me rendre. Prends cette boîte, rends-toi immédiatement jusqu’aux enfers et donne la boîte à Proserpine en lui disant que c’est Vénus qui lui demande de lui envoyer un peu de sa beauté."
Psyché comprit alors qu’elle était arrivée au terme de sa destinée et que sa mort était proche. Elle se dirigea vers une tour élevée, dans l’intention de se précipiter du sommet, se disant que, de la sorte, elle pourrait descendre tout droit aux Enfers.
Mais la tour se mit soudain à lui parler: "Pourquoi vouloir te faire périr de la sorte? Pourquoi succomber sans réfléchir à cette dernière et ultime épreuve? Lacédémone, l’illustre cité d’Achaïe, n’est pas loin d’ici; ni le Ténare; il faut que tu le découvres car là est le soupirail de Pluton; par la porte béante, tu verras un chemin difficile; une fois passé le seuil, en suivant ce couloir, tu parviendras directement dans le palais d’Orcus. Cependant, ne t’engage pas sans rien; emporte des gâteaux pétris avec du vin et de la farine d’orge et, dans la bouche, deux pièces de monnaie. Lorsque tu auras parcouru une bonne partie de cette route de la Mort, tu rencontreras un âne boiteux, chargé de fagots, avec un ânier tout pareil, qui te demandera de lui tendre quelques petits bâtons qui s’échappent de son chargement, mais passe ton chemin. Après, tu parviendras au fleuve mort où préside Charon qui demande qu’on lui paie d’avance le prix du passage; c’est à ce vieillard hideux que tu donneras l’une des deux pièces que tu porteras. Un mot encore: pendant que tu traverseras ces eaux stagnantes, un vieillard mort élèvera vers toi ses mains pourries et t’implorera de l’aider à monter dans la barque, mais tu ne te laisseras pas apitoyer par lui. Une fois le fleuve passé, de vieilles femmes occupées à tisser te demanderont de les aider à monter un tout petit peu leur chaîne, mais tu n’as pas le droit non plus d’y toucher. Surtout ne perds aucune de tes galettes; un chien monstrueux à trois cous et trois têtes énormes, garde perpétuellement le seuil et les noirs appartements de Proserpine et protège la demeure de Pluton. Tu en auras raison en lui offrant l’un de tes gâteaux. Ensuite, tu parviendras auprès de Proserpine qui te recevra avec bonté et t’invitera à t’asseoir. Mais toi, assieds-toi par terre et demande du pain grossier que tu mangeras; dis-lui la raison de ta venue. Au retour, calme la fureur du chien en lui offrant l’autre gâteau, puis donne à l’avide passeur le sou que tu auras gardé avec toi et, une fois son fleuve franchi, tu reviendras sur tes pas jusqu’à ce que tu revoies les astres du ciel. La recommandation principale à observer est celle-ci: ne va pas ouvrir la boîte que tu porteras, ni regarder à l’intérieur, et ne cherche d’aucune façon à examiner de plus près le trésor de la divine beauté qui s’y trouve caché." C’est ainsi que cette tour clairvoyante remplit son rôle d’oracle.
La dernière et quatrième épreuve de Psyché est la descente en enfer, la confrontation avec la mort.
Psyché fait une seconde tentative de suicide du haut d’une tour, mais celle-ci se met soudain à parler et à lui donner des conseils judicieux pour réussir cette épreuve.
La tour est un symbole de la grande déesse-mère: c’est un archétype de la mère, de la matrice, ainsi qu’un symbole d'introversion et de recueillement, une attitude intérieure qui aide Psyché à affronter ce qui l’attend.
À l’issue d’un périple difficile, elle apprivoise le cerbère et obtient de Proserpine la boîte de beauté contenant la beauté divine.
Au pays de la mort, la beauté est réservée aux dieux et elle est pour l'humain un fruit défendu, un poison.
La tentation de la Beauté
Sans tarder, Psyché se procura les fameux sous et les gâteaux, puis descendit dans la bouche d’Enfer. Elle suivit toutes les instructions de la tour et revint au jour. Lorsqu’elle revit la lumière brillante de notre monde, une curiosité irréfléchie s’empara d’elle: "Me voici, se dit-elle, qui porte, comme une sotte, la beauté divine, sans en prélever la moindre parcelle pour plaire, peut-être, de la sorte, à mon bel amant." Aussitôt dit, elle ouvrit la boîte. Mais, il n’y avait rien à l’intérieur: pas la moindre beauté, rien qu’un sommeil de mort qui s’empara d’elle, pénétra tous ses membres d’une épaisse léthargie et la fit tomber sur le sentier, semblable à un cadavre.
La boîte de beauté suscite la seconde transgression de Psyché. Elle veut être belle pour Éros, et ne peut s’empêcher d’ouvrir la boîte, ce qui la plonge dans un sommeil mortel.
Voler la beauté divine provoque chez la jeune fille un sommeil proche de la mort, un état d’inertie, de paralysie, de dépression.
L’onguent de beauté était destiné à Vénus pour augmenter ses charmes: l'onguent doit donc appartenir à Vénus et non à Psyché qui est humaine.
Sur le plan collectif, dans notre civilisation, la beauté physique est devenue une des valeurs les plus importantes. Cela a abouti à un esthétisme excessif, inadapté à la vraie vie, car la vie est faite d'opposés et la beauté éternelle et parfaite n'existe pas dans la réalité.
En outre, une chose parfaite ne peut jamais être complète: la plénitude, la complétude ou l’unité est contraire à la perfection.
Toute société ou tout être humain qui cherche la perfection nie la vie dans sa plénitude et sa totalité.
La perfection est masculine, ce qui explique sa prédominance dans notre société patriarcale. Elle est unilatérale et mène à la spécialisation, contraire à la plénitude, à l’unité, à la totalité. Notre civilisation s’est désirée parfaite dans sa quête effrénée du progrès et de la toute-puissance. Mais elle a négligé la plénitude, la totalité, l’unité… et la Vie.
De même, Psyché est fascinée par cette beauté divine, cette perfection. Et cela la fait régresser dans le domaine de l’inconscient, des dieux, et freine sa progression sur le chemin de l’humanité.
Eros sauve Psyché
Mais Éros, sa blessure cicatrisée, reprenait des forces et, ne pouvant plus supporter la longue absence de sa chère Psyché, se glissa par la fenêtre de la chambre où il était enfermé et, ses plumes ayant repoussé, s’envola vers Psyché. Là, il épongea avec soin le sommeil, le remit à sa place dans la boîte où il se trouvait et réveilla Psyché en la piquant, sans lui faire mal, avec l’une de ses flèches.
"Voilà encore, lui dit-il, que tu étais perdue, pauvre petite, par la faute de la même curiosité. Mais maintenant, va remplir la mission qui t’a été confiée sur l’ordre de ma mère, je m’occuperai du reste." Pendant que Psyché lui obéissait, Éros, dévoré d’un amour sans mesure, l’air malheureux et redoutant l’austérité soudaine de sa mère, revint à ses manières d’autrefois et, d’une aile hardie, s’éleva jusqu’au sommet du ciel. Il adressa une supplication au puissant Jupiter et plaida sa cause. Ce dernier lui répondit en ces termes: "Bien que, toi, mon fils, tu ne m’eusses jamais rendu les honneurs qui me sont dus, je n’oublierai pas que tu as été élevé pas mes propres mains et je ferai ce que tu me demandes, à condition toutefois que tu saches te garder des rivaux et, que s’il y a quelque part, sur la terre, une fille d’une beauté éclatante, tu n’oublies pas que, pour me remercier du service que je te rends aujourd’hui, ton devoir sera de me l’offrir."
Puis, il ordonna à Mercure de convoquer sans délai tous les dieux auxquels il s’adressa ainsi: "J’ai jugé qu’il convenait de contenir par un frein les écarts impétueux de l’ardente jeunesse de ce jeune homme; il suffit comme cela que, chaque jour, il fasse scandale par ses adultères et toutes ses fredaines. Son impétuosité de jeune homme doit être bridée par les liens du mariage. Il a choisi une jeune fille et lui a pris sa virginité: qu’il la garde, qu’il la possède, que, dans les bras de Psyché, il jouisse toujours de celle qu’il aime." Se tournant vers Vénus, il lui dit: "Et toi, ma fille, ne sois pas triste et ne redoute pas cette union avec une mortelle; je ferai en sorte que ce mariage ne soit pas disproportionné, mais valable et conforme au droit civil."
Aussitôt, il ordonna à Mercure d’enlever Psyché et de l’amener au ciel. Puis, il lui tendit une coupe d’ambroisie: "Prends, dit-il, Psyché, et sois immortelle, Éros ne s’écartera jamais de cette union qui te l’attache, et votre mariage sera indissoluble." Et l’on servit aussitôt un magnifique repas de noces. C’est ainsi que Psyché passa, selon les règles, sous la puissance d’Éros, et, lorsque le moment fut venu, il leur naquit une fille, qui fut nommée Volupté.
Dénouement: le couple idéal mais désincarné
Éros demande à Zeus d’intervenir et ce dernier rend Psyché immortelle. Le mariage a donc lieu dans l’Olympe.
Cela signifie que cette relation ne s’incarne pas dans la réalité humaine: le problème du couple, de sa réalisation, de son incarnation, n’est pas résolu.
Le couple et l’amour posent un dilemme pénible et souvent insoluble. Soit on se laisse griser par l’aspect "divin", idéal et romantique de l’amour, soit on se fige dans son aspect quotidien et banal.
Les êtres humains ont une grande difficulté à unifier ces deux aspects opposés. Il leur faudrait comprendre et intégrer le fait que l'amour est à la fois un mystère divin et un événement humain ordinaire.
Mais ils ne parviennent pas à réaliser une telle union, d’où l’échec de nombreux couples qui ne s’incarnent pas vraiment: soit ils demeurent dans une dimension "idéalisée" et "inconsciente", soit ils s’enlisent dans le quotidien et le concret sans intégrer la dimension spirituelle.
Sur le plan psychologique, Psyché évoque ces femmes qui font tout pour plaire à l’homme qu’elles aiment, endossent ses projections, ne réagissent pas, et empêchent l’homme de devenir conscient et de progresser pour le garder. Et les hommes qui projettent leur féminin sur de telles femmes demeurent dans l’inconscient, dans l’Olympe, parmi les dieux.
Psyché n’a donc pas résolu son problème avec le masculin: elle ne l’a pas intégré à sa vie humaine. Elle en est devenue l’esclave.
De plus, elle est devenue une vraie déesse en buvant l’ambroisie, la boisson d’immortalité des dieux, au lieu de devenir une femme. Elle a réalisé ses aspirations spirituelles au détriment de la vie et de l’humanité, régressant dans le monde de l'inconscient collectif.
Éros, lui, peut être considéré comme un "fils à maman" teinté de donjuanisme. Quand un homme vit attaché à sa mère, il se sent éternel et n’éprouve pas le besoin de s’adapter à la réalité et de vivre avec une femme réelle.
Au lieu de découvrir "l’enfant éternel" en lui comme source de vie, de créativité, de renouvellement, il s’identifie à l’enfant éternel. Il se complaît dans son complexe-mère positif où la mère et le fils forment un couple.
Éros n'a pas davantage résolu son problème avec son féminin, figuré par sa mère Vénus. Il aurait pu demander à Jupiter de lui permettre de s’incarner, de devenir humain et de vivre avec Psyché sur terre. Mais il lui demande de faire de Psyché une déesse, de la diviniser, pour continuer à vivre avec elle dans son univers parfait et inconscient.
Cela explique peut-être pourquoi ce couple ne peut pas s’incarner dans la réalité, vivre au grand jour, et doit retourner dans l’inconscient, le monde des dieux.
De nombreux couples réels vivent ainsi "dans l’inconscience", dans l'illusion d'une fausse perfection, et ne parviennent pas à intégrer et à unifier les aspects opposés de l’amour.
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