Le féminin divin: Les déesses-mères - "Cybèle" - Mère et fils

Cybèle et lions

 

ÉLÉMENTS D’ANALYSE DU MYTHE DE "CYBÈLE" (mythologie romaine)

 

À l’aube de l’humanité, a surgi une GRANDE ET MYSTÉRIEUSE DÉESSE-MÈRE dont les multiples avatars partagent les mêmes attributs: féconde, transformatrice, initiatrice, magicienne, ambivalente, sage, elle connaît le monde visible et invisible, règne sur la nature et ses cycles, la fertilité de la terre, des animaux et des hommes. 

Elle incarne la totalité de la vie: vie, mort et renaissance. Elle règne aussi dans le monde souterrain. 

Ambivalente, elle peut donner la vie ou la mort. Elle est souvent accompagnée du serpent - son aspect terrestre - et de l’oiseau - son aspect céleste. 

Son culte se perd dans la nuit des temps. On ne sait pas quand il a commencé, si ce n'est qu'il remonte à la préhistoire.

La GRANDE DÉESSE a dominé pendant des millénaires sous la forme de nombreuses divinités. Les êtres humains ont projeté sur elles leur vision de la nature et leur conception de la vie, particulièrement sur la figure de la mère.

Ces déesses-mères sont nées dans des sociétés où la conception de la femme et du féminin était radicalement différente de celle de nos sociétés patriarcales. De nombreux chercheurs sont actuellement en accord sur un point: la divinisation du féminin-maternel dans les sociétés anciennes est dûe en partie à l’ignorance des hommes concernant leur rôle dans la procréation. Pour eux, la femme donnait la vie, ce qui lui conférait une dimension sacrée et leur inspirait respect et vénération.

La DÉESSE-MÈRE DES ORIGINES est donc un puissant ARCHÉTYPE né dans l’inconscient collectif. Elle est le principe et l’essence du féminin et de la psychologie féminine.

ET EN TANT QU'ARCHÉTYPE, ELLE VIT EN CHAQUE FEMME - que celle-ci en soit consciente ou non.

Récit

Les Phrygiens des hauts plateaux de l’Anatolie rendaient un culte à une déesse dotée d’une puissante force productrice et féconde de la terre et de la vie.  

Ils la considéraient comme la mère de toutes choses. Les Grecs et les Latins l’appelaient la "Magna Mater", la "Grande Mère". Les Grecs l’ont même assimilée à Rhéa, épouse de Cronos et mère de Zeus. 

Dans cette région montagneuse, elle était la "déesse des cavernes", c’est-à-dire Cybèle. Et on l’adorait sous la forme d’une pierre noire. 

 

Cybèle dans grotte

Elle se déplaçait sur un char traîné par des lions, couronnée d’une étoile à 7 branches ou d’un croissant de lune. Et elle vibrait aux sons du tambourin et aux sifflements du crotale. 

Deux siècles avant notre ère, les Romains l’ont appelée à l’aide, pour qu’elle protège leurs villes menacées par les guerres. 

 

Rome antique-Incendie

C’est à Rome que Cybèle rencontra Atys, un jeune Phrygien. 

Atys était fils de Nana, fille du dieu-fleuve Sangarios. À sa naissance, il fut exposé, sauvé et élevé par des chèvres sauvages. Il devint un jeune homme d'une remarquable beauté. 

 

Berger antique

 

Cybèle s'éprit éperdument de lui. Elle lui confia la garde de son culte en lui demandant de rester chaste. Mais le jeune homme fut attiré par une nymphe, Sangaride, et rompit son vœu. 

Folle de jalousie, Cybèle donna la mort à la nymphe et frappa Atys de folie, à tel point que ce dernier s’émascula sous un pin. 

Cybèle le prit alors dans ses bras et l’emporta dans sa grotte, où elle le pleura sans fin, attendant avec affliction sa renaissance à chaque printemps, sous la forme d’un pin éternellement vert. 

François Mauriac écrira dans son poème "Le sang d’Atys":

"Rien, rien n’arrachera ta racine profonde à mon immense corps engourdi de plaisir..."

Naissance de Cybèle

Cybèle est née environ 900 ans avant J.C. et est d’abord adorée sous la forme d’une pierre noire qui représente la divinité féminine et lunaire. 

Les Grecs la baptisent Cybèle et l’assimilent à la déesse Rhéa, fille d’Ouranos et de Gaïa.

 

Rhéa

 

Puis les Romains l’introduisent à Rome en 204 avant J.C. Ils lui demandent de les protéger des invasions et de guerre. C’est sous l’empire romain qu’elle atteint son apogée.

À Rome, on la représente avec une couronne de murs. En tant que divine protectrice, elle représente pour les Romains la ville maternelle et féminine et ses habitants.

Cybèle à Rome-Claudia Lombard

 

Symboliquement, il y a un lien entre la ville et la virginité ou la prostitution, qui sont les deux aspects principaux de la femme dans la civilisation patriarcale.

Une ville qui n’est pas vaincue est considérée comme vierge, et les colonies sont les fils et les filles d’une mère-ville.

On retrouve cette identité entre la ville et la femme dans de nombreuses cultures: en Inde, dans le mythe de Râma, en Chine, où un nouvel empereur devait labourer un champ pour établir un lien avec la femme-terre.

La déesse Cybèle

Le culte de Cybèle est adapté à partir de l’empereur Claude. Il entre en concurrence avec le christianisme naissant. 

On pourrais s’interroger sur la relation entre Atys et le Christ. Un prêtre de Cybèle dit à St-Augustin: "Atys aussi est chrétien."

Cybèle est figurée assise sous l’arbre de vie, entourée de lions, ou sur un char tiré par des lions, couronnée d’un croissant de lune.

Le lion est un animal sauvage royal: le maîtriser signifie pour une femme maîtriser son instinct, diriger son énergie vitale et être maîtresse de sa destinée.

Le croissant de lune représente son aspect lunaire et son pouvoir sur les cycles biologiques féminins.

 

Cybèle sur char

 

Cybèle a comme autres attributs le tambourin et le crotale - le serpent à sonnettes.

Le son du tambour est grave, profond, mystérieux, d’origine orientale.

La plupart des déesses-mères ont pour attribut le serpent et l’oiseau.

Cybèle aime le crotale qui représente l’aspect terrestre, souterrain, obscur de la déesse alors que l’oiseau en est l’aspect spirituel.

À eux deux, ils constituent la totalité de la vie: le haut et le bas, le terrestre et le céleste.

La passion de Cybèle pour Atys

En voyant Atys, Cybèle tombe éperdument amoureuse de lui et lui demande de lui rester fidèle. Mais Atys, séduit par une nymphe, la trompe.

 

Atys et nymphe

 

Folle de jalousie, Cybèle tue la nymphe et rend Atys fou de rage. 

Au paroxysme du désir dont l’avait frappé Cybèle, follement amoureuse de lui, il se châtre sous un pin. 

Au comble du désespoir, Cybèle arrache l’arbre du sol, l’emporte dans sa grotte et pleure toutes les larmes de son être. 

C’est la mère chthonienne qui va cacher son fils dans son antre, c’est-à-dire dans son giron. 

Le pin

Pin antique

 

Athis fut métamorphosé en pin. À l’origine, l’arbre symbolise la mère. Et de même que la mère, il est le commencement et la source de toute vie. 

Dans ce mythe, l’arbre représente le phallus, mais aussi la mère, dans la mesure où l’on y suspend l’image d’Atys. Cela symbolise l’amour du fils attaché à sa mère. 

Le pin est un arbre immortel car il ne perd jamais ses feuilles.

Il symbolise le corps du dieu mort et ressuscité et l’alternance des saisons, de même que l’alternance de la vie et de la mort.

La destinée tragique d'Atys

Effondrée dans sa grotte, Cytèle pleure Atys.

 

Couple dans grotte

 

Emmener Atys dans sa grotte signifie pour la mère qu’il retourne dans son sein maternel. 

Mais la relation de la déesse-mère avec son fils-amant n’est pas sexuelle au sens où nous l’entendons. La déesse-mère désire manifester et mettre à l’épreuve son instinct maternel. 

Elle veut soumettre son fils à son instinct maternel.

La relation mère-fils

Atys est une figure de fils mort prématurément. Il est en cela semblable à Tammuz, le fils-amant d’Ishtar, ou à Adonis, sacrifié par Aphrodite. 

Mais c’est Atys qui a la destinée la plus tragique en tant que fils-amant. Il s’auto-castre, se détruit en tant qu’homme. Il est irrémédiablement attaché à sa mère, symbolisée par le pin.

 

Cybèle et Atys

 

Sur le plan psychologique, ce mythe illustre un schéma relationnel mère-fils excessif. 

L’attachement du fils à sa mère entraîne la castration symbolique, l’autodestruction, l’impuissance, la folie. 

Dans un tel schéma, cet attachement est trop puissant pour que le fils puisse vivre et mûrir. 

Le "fils-amant" ne vit qu’à travers sa "déesse-mère" et ne trouve jamais son chemin personnel. Il n’a pas de racines propres. Il vit dans un inceste perpétuel, et tout amour incestueux est figé et délétère. 

De nombreux couples "mères-fils" s’inscrivent inconsciemment dans ce schéma. Dans ces couples, les femmes sont castratrices, abusives, dominantes. 

Précisons que, dans ce schéma, la libido du fils ne se fixe pas sur la mère réelle et biologique, mais sur l’image intérieure ou intériorisée de la mère. 

C’est donc cette image intérieure de la mère qui doit être sacrifiée.

Le sacrifice du fils par la mère a un aspect positif. Mais la mère doit aussi se détacher du fils par un sacrifice. Si elle ne le tue pas en elle, il restera attaché à elle et n’existera jamais en tant qu’homme indépendant. De même qu’il l’empêche, elle, d’être indépendante.

Ce sacrifice de la mère se fait naturellement dans l’inconscient féminin. Pour la femme, il consiste à se libérer de sa dimension maternelle et de son identité à son fils.

La femme et l'instinct maternel

Pour la femme moderne, ce processus est difficile à comprendre et à intégrer. 

Dans notre société judéo-chrétienne, le "maternel" est encore considéré comme une grande qualité, une grande vertu, voire un "devoir" indéfectible. 

Et une femme qui "envoie promener" son fils pour qu’il réalise sa destinée n’est pas considérée comme une "bonne mère", parce qu’elle ne fait pas son "devoir" de mère, c’est-à-dire ne se sacrifie pas pour son enfant. 

De nombreuses femmes tombent encore dans le piège de cette tendance protectrice qui caractérise l’instinct maternel. Elles aiment protéger. Elles aiment la tendresse et la douceur de l’enfant. 

Cependant, vouloir prolonger cette relation n’est pas de l’amour. Même si une femme désire le bonheur de son fils, en agissant ainsi, elle fait preuve d’égoïsme car elle s’identifie à son fils.

Cette identification existe aussi chez les femmes sans enfant. Celles-ci traitent les autres comme des enfants, les maternent, les protègent, les empêchent de vivre leur destinée, leurs épreuves, leurs souffrances. Une telle attitude les empêche d’évoluer et les maintient dans l’infantilisme. D'autre part, ces femmes ne peuvent pas progresser, prisonnières de leur identité à la "mère".

Cybèle en souffrance

 

La tendresse maternelle enferme, détruit, emprisonne le fils dans l’arbre, comme Atys.

C’est pourquoi le sacrifice du fils est représenté par une castration. 

Quand la mère a le courage de dire "non" autant que "oui", quand elle est consciente de l’aspect négatif et de l’aspect positif du sentiment maternel, mère et fils peuvent être sauvés par le sacrifice. 

Quant au fils, la castration volontaire lui permet de renaître en tant qu’homme.

Le culte d'Atys

Dans l’antiquité, le renouveau annuel de la nature et de la vie est célébré par des cultes ou "mystères" dédiés au fils divin, à l’enfant éternel et à l’arbre.

Dans le culte de Cybèle, cet arbre est le pin. Tous les ans, on couronnait un pin et l’on y suspendait une statue d’Atys. 

 

Arbre de fertilité

 

La suspension du fils ou de sa statue à l’arbre symbolise la réunion et l’attachement de la mère et du fils. 

Puis l’arbre était abattu.

L’abattage de l’arbre symbolise la castration, le sacrifice de l’instinct et de l’attirance du fils pour la mère. Il signifie aussi l’immolation et la mort de la mère, l’arbre étant à la fois mère et fils.

Le lendemain de l’abattage du pin, les fidèles jeunaient et se lamentaient lors d’une veillée mystérieuse, en attente de la résurrection d’Atys. Puis Atys se réveillait avec le printemps et tout le monde exprimait sa joie de voir renaître le dieu et la nature.

Les prêtres qui officiaient dans les temples de Cybèle étaient des castrats ou eunuques qui figuraient Atys. Ils sombraient dans des états de transe et certains allaient jusqu’à se castrer, courant à travers les rues et jetant leur phallus dans une maison où ils recevaient des vêtements féminins et une parure de femme.

En général, les prêtres simulaient la castration en s’égratignant les bras jusqu’au sang.

Mais il y a des exemples de réelle auto-castration, comme celle d’Origène qui s’est auto-castré.

Ces rites représentent l’aspiration à la mère, le "rêve de la mère", l’insondable nostalgie de la mère, à une époque où il n’y avait pas encore de père dominant pour compenser le pouvoir maternel.

Le culte à "mystères" était une religion personnelle, initiatique, où l’on faisait une expérience intérieure et mystique du divin.

Dans la Rome impériale, un pin coupé était un souvenir, un symbole ou un simulacre d’Atys. On le portait solennellement sur le Palatin le 22 mars, pour célébrer la fête appelée "de l’Arbor intrat". 

 

Arbre lunaire symbolique

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