"Le soleil dans tous ses états" - Fantaisie astrale
- Par kleiberpat
- Le 25/03/2021
- Dans Monde Imaginaire - Contes, Fictions et Rêveries
LE SOLEIL DANS TOUS SES ÉTATS - FANTAISIE ASTRALE
Tout était sens dessus dessous dans le ciel: le soleil et la lune s’étaient terriblement querellés et avaient décidé de rompre l’heureuse régularité de leur rythme. Aussi le soleil apparaissait-il à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, quand cela lui chantait, et surtout quand il lui était loisible de contrarier la lune.
Dire qu’on l’appelait la Déesse Lune! Une furie avec des velléités de domination, voilà ce qu’elle était en réalité, pestait-il, dardant vers la terre des rayons brûlants. N’était-il pas le maître de l’univers, lui qui prodiguait la bienfaisante chaleur sans laquelle rien ne pourrait vivre? Qu’avait-elle à revendiquer, cette misérable qui ne parvenait même pas à éclairer la nuit, allant jusqu’à disparaître totalement!
En vérité, ce qui avait tant exaspéré le soleil, c’est qu’elle l’avait éclipsé en plein jour sans l’en avertir, et cela durant plusieurs heures, de sorte que toutes les créatures terrestres avaient cru en sa disparition définitive et avaient cessé de lui vouer le culte auquel il avait droit. Une éclipse si interminable que le monde entier avait dû fermer les yeux. C’est pourquoi il avait décidé de sévir, à sa manière.
Rien ne semblait pouvoir réconcilier les deux astres: ni prières, ni rituels, ni sacrifices, ni adoration d’aucune sorte. Le soleil se sentait profondément blessé, et jamais il ne pardonnerait à cette futile, cette changeante, cette éphémère… Si glaciale que lorsqu’elle souriait - et rarement encore! - c’était aux étoiles et non à lui, faisant mine de ne pas le reconnaître! Oui, la dédaigneuse méritait son châtiment, ainsi que toutes les sottes créatures admirant le ridicule spectacle qui l’avait diminué à leurs yeux.
A présent, il se levait et se couchait à sa guise, chaque jour à des heures différentes, trouvant grand plaisir à cette paresse pour lui inaccoutumée. Il en avait fini avec le rythme immuable des jours et des saisons, et il lui arrivait même de s’assoupir en plein après-midi, ou de rester éveillé le plus tard possible pour entraver l’apparition de la perfide traîtresse! Parfois, il veillait jusqu’à l’aube.
C’est ainsi que, par orgueil et revanche, il en oubliait l’immense responsabilité qui lui incombait depuis la création du temps: être le maître de la permanence et de l’harmonie garantes de la vie dans l’univers. "Peu me chaut! fulminait-il dans son irritation, ils n’ont qu’à faire comme moi, dormir et veiller quand cela leur plaît, et qu’importent leurs vaines et mesquines activités!" Il ne savait plus ce qu’il disait ni faisait, tant la colère l’emportait sur la raison.
La situation entre les deux astres s’était tant envenimée que les créatures de la terre décidèrent de réunir un conseil planétaire pour tenter de trouver une solution à ce désastre. L’élément air avait envoyé comme représentant le Vent le plus impétueux et puissant du monde; l’élément eau un Fleuve majestueux que l’on ne pouvait traverser sans prière. Les minéraux avaient délégué une jarre emplie de Sel précieux, car celui-ci est incorruptible, dispose d’une âme infaillible, ainsi que de la faculté de transformer toute créature désobéissante en statue. Les animaux, eux, avaient mandaté un Chat pour sa faculté de voir dans l’obscurité. Quant aux végétaux, ils n’avaient envoyé qu’une petite Anémone qui semblait perdue au milieu de cette illustre assemblée; mais malgré son caractère éphémère, elle était la fleur de Vénus, l’astre de l’amour, et sa simplicité saurait peut-être mieux que quiconque s’attirer les faveurs de la déesse.
Le conseil se tint en grand secret au sommet d’une montagne, et dura un long temps. Le soleil s’était déjà endormi et réveillé à plusieurs reprises, toujours dans un complet désordre. Et la lune avait dû se plier malgré elle à son rythme déréglé. Aussi attendait-on avec impatience l’issue de ces controverses et se demandait-on avec inquiétude si l’on allait trouver une solution à une situation aussi désespérée.
Alors qu’avaient lieu ces débats essentiels pour la survie de tous, un drôle de personnage passait par là, ignorant ce qui se passait.
C’était un fou, une de ces créatures auxquelles nul ne prêtait attention, si ce n’est pour s’étouffer de rire à son aspect saugrenu, avec ses grelots qu’il secouait avec une joie manifeste et son chien aussi insensé que lui qui jappait à ses trousses. Inoffensif et indifférent, il grimpa au sommet de la montagne pour chasser quelque animal avec son arc et ses flèches; mais il n’en rencontra aucun. Affamé, il finit par trouver l’assemblée et s’invita tout bonnement à la table de ses illustres membres qui furent pris, malgré la gravité de la situation, d’un rire inextinguible.
"Regardez-le, comme il est cocasse, s’écria le Fleuve, ma foi il ne passerait pas mes eaux avec ses grelots et son chien!
- Je pourrais secouer ses grelots jusqu’à ce qu’il s’effondre! s’exclama le Vent tonitruant.
- Moi, je le trouve plutôt charmant, murmura en rougissant la timide Anémone.
- Oui, mais son chien me déplaît souverainement, lança le Chat en baillant ostensiblement.
- Taisez-vous! s’écria le Sel en faisant trembler sa jarre. Vous n’y comprenez rien! C’est le ciel qui nous l’envoie pour nous aider à régler le conflit entre le soleil et la lune.
- Ah oui, et comment? s’esclaffa le Chat avec un miaulement dédaigneux.
- Grâce à son arc et ses flèches, répondit le Sel d’un ton mystérieux.
- Vous voulez dire qu’il va tirer une flèche sur le soleil pour l’éveiller chaque fois qu’il s’endort à la mauvaise heure?
- Non, mais il possède peut-être le seul moyen de réconcilier les deux astres. Je vous prie, laissez-moi m’entretenir avec lui seul à seul."
Comme aucune solution n’avait encore été trouvée, l’on se dit qu’il n’y avait rien à perdre à laisser le Sel parler au fou; et tous de se retirer. L’entretien fut interminable, et nul n’eut à cœur d’en attendre le dénouement, et ils en profitèrent pour faire un somme. Lorsqu’il s’acheva enfin et que le Sel poussa un cri, ils s’éveillèrent en sursaut, effrayés.
"Voilà, c’est fait, leur annonça-t-il, énigmatique. Mais cela doit rester secret.
- Comment? se révoltèrent-ils, nous avons le droit de savoir ce qui a été décidé et de donner notre avis!
- Il vaut mieux que personne n’en sache rien, en cas d’échec! riposta le Sel, imperturbable."
C’est ainsi que le jour même, le fou quitta la montagne, ignorant quelle direction prendre. Mais il savait que la lune préparait sous peu une nouvelle éclipse, plus complète que la précédente, et que le soleil ne s’en remettrait pas et durcirait sa position. Il s’installa au bord d’une rivière et décida de dormir quelques instants pour que ses rêves puissent l’éclairer.
Lorsqu’il se réveilla, il vit une créature ravissante assise en face de lui. Elle était tout humide; il se dit qu’elle devait sortir de l’eau et être une ondine ou une nymphe. Elle le regardait avec une moue malicieuse. Elle était tout à fait charmante ainsi et il ne put résister à l’envie de lui prendre la main. Elle continuait à le contempler si obligeamment qu’il finit par lui donner un baiser.
Alors la nymphe se leva, toute rougissante, et lui fit d’un ton de reproche:
"Qu’avez-vous fait? Je n’ai pas le droit d’embrasser ni d’aimer un humain, vous le savez parfaitement; nous ne vivons pas dans le même monde, nous sommes trop différents.
- Ne vous inquiétez pas, ma douce, répondit-il, je suis un fou certes, mais sage également, donc différent des autres humains. Je puis vivre dans tous les univers et aimer les créatures qui les peuplent, et je peux aussi me métamorphoser à souhait. D’ailleurs – mais ceci est un grand secret – on m’a envoyé ici pour résoudre le problème le plus épineux que notre terre ait jamais connu, le conflit insoluble entre le soleil et la lune que vous n’êtes pas sans ignorer.
- Ah oui? Mais vous n’y parviendrez jamais tout seul, dit la nymphe avec un sourire. Cependant, je veux bien vous aider.
- Comment cela?
- Venez avec moi. Je connais le lieu le plus proche de la prochaine éclipse du soleil. Là, nous pourrons attendre que se produise la rencontre entre les deux astres, puis vous aviserez."
Ils marchèrent longuement à travers des forêts profondes, des déserts arides, au-delà des mers qu’ils parcoururent grâce à l’aide du peuple des nymphes. Le jour de l’éclipse, ils arrivèrent enfin à l’endroit le plus élevé de la terre.
Le soleil s’éveillait d’un de ses sommeils diurnes lorsque la lune apparut soudainement. Elle se colla contre lui, dans toute la splendeur de sa rondeur, et lui fit de l’ombre jusqu’à ce que l’on n’aperçût plus qu’un cercle lumineux aussi fin qu’un fil d’or. Le fou s’empressa d’armer son arc d’une flèche et le tendit de toutes ses forces.
Alors que la conjonction des deux astres eut lieu, la flèche s’envola, sifflant à travers les airs comme le cri d’un oiseau de proie, et traversa la fière lune puis le soleil furieux.
Mais, au lieu de les blesser, elle les atteignit au plus profond de leur cœur. Ils furent frappés par une flamme intense qui les embrasa.
Au même instant, le fou et la nymphe se donnèrent un divin baiser; leurs souffles et leurs âmes se mêlèrent. Le soleil et la lune, touchés par cette vision, s’unirent en une étreinte ardente. Puis ils se séparèrent, apaisés et rassérénés, désireux de reprendre leur course régulière dans le ciel.
C’est ainsi que le fou et la nymphe sauvèrent l’univers et toutes ses créatures d’un drame qui leur eût été fatal. A partir de ce jour, le soleil et le lune s’unirent souvent, frappés d’amour à chacune de leurs rencontres, et leur ardeur renouvelée fit régner l’harmonie universelle.
Pour remercier le fou et la nymphe, les membres du conseil leurs accordèrent la faculté de vivre ensemble éternellement, et ils régnèrent sous le signe du soleil et de la lune, en parfaits souverains de la terre et des eaux.
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