"L'étoile de transit" - Rêverie astrale

 

L’ÉTOILE DE TRANSIT - RÊVERIE ASTRALE

Je suis sur le point de m’endormir. Mais une force irrésistible m’attire vers le haut jusqu’à ce que je quitte mon lit. Je heurte le plafond, puis je suis propulsée vers la fenêtre. Je l’ouvre et je sors. Dehors, il pleut et il fait froid.

Je m’élève au-dessus de mon immeuble: il est cocasse vu de haut, carré et petit comme une cage. Je monte encore: je vois défiler les environs, le château, la chapelle gothique, le bois. Je continue de monter et j’aperçois la grande ville minuscule avec ses mille lumières. Plus je m’éloigne, plus il fait sombre. La ville fuit à une vitesse vertigineuse. Quelques avions passent dans le ciel, j’entends leurs vrombissements étouffés.

J’aperçois encore tout en bas mon pays, sa forme hexagonale où alternent ombres et points lumineux, la botte du pays voisin, l’immense continent au sud. Puis la terre elle-même devient de plus en plus petite, boule incertaine dans l’opaque noirceur. Soudain, un choc violent me secoue: j’ai traversé l’atmosphère.

Mes perceptions sont différentes, je ne sens plus mon corps, c’est comme s’il flottait dans l’indéterminé. J’ai peur. Où est la lune? Je ne la vois pas, le soleil ne l’éclaire pas. C’est peut-être une nuit de nouvelle lune.

Affolée, je me tourne de tous côtés, puis je décide de contourner la terre. Enfin, le voici, l’astre d’argent froid et énigmatique, éclairé par le soleil bouillant. Attention! Il ne faut pas m’approcher de la sphère brûlante qui explose de toutes parts. Je me rappelle le sort funeste d’Icare.

Je m’éloigne de l’astre solaire qui m’a un peu réchauffée. Je peux apercevoir les planètes qui gravitent autour de lui. Vénus surtout, d’une blancheur orangée. Et Mars, bleu, froid comme le guerrier qu’il figure. Je vois aussi Mercure, le voyageur aux sandales ailées, Jupiter et sa corne d’abondance, Saturne, le maître impitoyable du temps, Neptune et Uranus, le plus excessif, enfin plus loin Pluton, le maître de la mort…

Système solaire

 

J’ai atteint les confins de notre système. Qu’y a-t-il au-delà?

Plus de bruit, plus le moindre souffle, un silence absolu. Angoissant. Mais je ne suis pas angoissée. Je me laisse aller dans l’infini cosmique, d’où jaillissent sans cesse des pierres, des objets que je dois éviter. Le système solaire n’est plus qu’une infime configuration à l’horizon de mon champ de vision.

Des multitudes d’étoiles clignotent intensément, certaines proches, d’autres lointaines, et je les vois se former ou se déformer avec une ardeur et une énergie surhumaines. Lorsque je m’approche de l’une, elle cesse de clignoter, devient une grosse masse informe. Puis soudain, une filante me passe sous le nez, à ma grande joie. L’allégresse m’envahit, car elles sont de plus à plus nombreuses à filer et poursuivre leur route, esquissant un gigantesque feu d’artifice.

Je n’ai plus peur, je ne crains plus l’avenir, ni le passé, ni même le présent. Le temps n’existe plus. Je ne sais si je vole rapidement ou lentement, je ne perçois pas mon corps qui flotte dans une mer ouatée, et je prends un bain d’espace où le froid, le chaud, l’humide, le sec se mêlent et se neutralisent. Je flotte, et ne pense à rien, même pas à mon existence. Dire que cela me préoccupait tant sur terre, jusqu’à me donner l’envie de mourir… Je me laisse aller, je n’existe plus en tant qu’humaine, j’ai tout oublié, même mon nom.

 

Brusquement, je heurte quelque chose de dur qui me fait piquer du nez. Je pousse un cri. Je roule, me déroule, m’enroule et continue de rouler. Je perçois à nouveau mon corps, il est endolori. Mes muscles revivent, de même que mes os, mes articulations. Je sens, je respire, j’entends.

Après quelques instants, j’ai conscience d’être tombée sur une étendue de sable recouvrant des roches. Je reste ainsi un long temps, couchée sur le dos, regardant les étoiles pétiller et danser dans le ciel. Et je jubile sans fin. Même si Dieu n’existe pas, qu’importe! Il est là tout autour de moi: c’est lui qui les fait clignoter, qui m’a guidée. C’est lui l’infini, le cosmos, le silence abyssal, et c’est lui  aussi l’obscurité. Est-il aussi en moi?

Soudain, une voix humaine m’interpelle:

"Es-tu blessée?

- Non, dis-je, abasourdie.

- Et pourtant… Tu es souvent tombée dans le passé.

- Qu’en savez-vous? Et d’abord, qui êtes-vous?

- Lève-toi et tu me verras.

- Je ne sais pas si je peux me relever.

- Essaie."

En effet, je me lève avec aisance, je secoue les grains de sable de mes vêtements. Je suis déconcertée de sentir mon corps indemne après une telle chute. Je continue de flotter légèrement sous les rafales du vent. Car il y a du vent, juste assez pour que des odeurs, des parfums inconnus pénètrent mes narines.

Je distingue alors une silhouette à quelques pas de moi, qui tient à la main une lampe. Elle est enveloppée d’une longue cape blanche. Je ne la vois que de dos. Est-ce un homme ou une femme? Impossible à définir. Pourtant, la voix que j’ai entendue était celle d’un homme.

Sans se retourner, la silhouette me fait signe de la suivre. Sommes-nous sur une planète ou une étoile? Celle-ci ne paraît pas très grande. Elle est éclairée par un astre lointain autour duquel elle gravite.

J’emboîte le pas au personnage qui balance sa lampe avec nonchalance. Cette marche me semble durer une éternité. Je commence à me sentir épuisée et affamée.

"Où sommes-nous? lui fis-je.

- Sur une étoile, répond-il laconiquement.

- Alors, c’est "mon" étoile »! Je l’ai donc trouvée! Mais, dans ce cas, qui êtes-vous et que faites-vous sur mon étoile?

- Tu te trompes, ce n’est pas "ton" étoile. C’est une autre étoile.

- Une autre étoile? Laquelle?

- Je t’en parlerai demain. Tu es épuisée et il commence à faire froid. Nous devons nous hâter. Tu es tombée très loin et tu as de la chance que je me sois rendu dans ce lieu perdu à ce moment précis."

 

Après un temps indéfini, je distingue des huttes, rondes, assez petites. Le personnage me montre l’une d’elles en me disant:

"A présent, va dormir. Je te laisse la lampe. Pour l’éteindre, il te suffit de souffler dans sa direction, et de même pour la rallumer. Mais ne t’amuse pas à souffler toute la nuit, tu ne fermerais pas l’œil!" me lance-t-il avec familiarité, comme s’il me connaissait.

Hutte ronde en Afrique

 

Ma hutte est composée d’une pièce unique avec une paillasse dorée. Epuisée, je m’effondre sur la couche et sombre dans le sommeil. Lorsque je m’éveille, il fait clair. La hutte ronde est transparente, quoiqu’on ne puisse voir l’extérieur. Elle est baignée par le soleil dont les rayons la réchauffent et l’éclairent toute la journée. C’est agréable et je m’abandonne à ce bien-être inattendu.

Subitement, je me souviens que je suis quelque part, perdue dans l’univers, sur une étoile dont j’ignore tout. Quelle folie! Mais quelle exaltation! Et quelle terreur aussi! Comment rentrerai-je? Devrai-je rester ici pour toujours? Je suis stupide: je rentrerai comme je suis venue, en volant, tout simplement, et en me laissant guider. Je ne suis pas complètement démunie.

J’entends frapper à la porte ronde qui ressemble à un hublot. Je crie "entrez". La silhouette de la veille se profile sur le seuil. Elle dégage sa tête et ses épaules de la cape qui la recouvre et vient vers moi, un sourire aux lèvres.

Je le connais! C’est lui! C’est bien lui! Comment est-ce possible? Je le regarde, bouche bée.

"Mais oui, c’est bien moi, me dit-il en riant. Je suis arrivé avant toi, je ne sais plus exactement quand. Le temps est différent ici et j’ai l’impression d’y être depuis des années. Le plus étonnant, c’est que je n’ai plus de problème avec le temps. Et de plus, aussi incroyable que cela paraisse, je suis guéri! Ici, je respire, je me sens revivre. J’inspire profondément, avec une ampleur telle que j’ai l’impression d’avoir des poumons aussi sains que les branches d’un chêne millénaire. Puis j’expire sans fin. Le temps n’existe plus. Une inspiration, une expiration, une pause, une inspiration, une expiration, une pause… Cela dure à chaque fois une vie entière! C’est pour cela que je suis encore là. Je ne puis me résoudre à repartir…

- Mais… Tu cherchais ton étoile toi aussi? Alors que fais-tu ici? Pourquoi n’es-tu pas sur la tienne? Et les tiens, tes proches? Peut-être as-tu disparu depuis très longtemps? Ne vont-ils pas s’inquiéter? Toi qui m’as toujours dit que tu ne pouvais te passer des tiens, ni eux de toi.

- Oui, mais pour l’instant, cela n’a pas d’importance. Nous sommes sur une étoile communautaire, une étoile où échouent ceux qui ont du mal à se diriger, à trouver leur voie, leur propre étoile; c’est une étoile de passage, une étoile de transit…

- Une étoile de transit? fis-je de plus en plus éberluée? Comment le sais-tu?

- C’est la maîtresse qui me l’a dit.

- La maîtresse? Quelle maîtresse?

- La maîtresse de l’étoile.

- Ah! Je comprends pourquoi tu ne veux plus retourner sur terre. Une maîtresse!

- Détrompe-toi. Tu la rencontreras tout à l’heure; tu verras que ce n’est pas ce que tu penses. Ici, je suis libre, délivré. J’aime mes proches mieux qu’avant, mais comme un être libre. J’ai compris qu’il me fallait être moi-même pour qu’ils puissent être heureux et ne plus se sentir contraints de porter le fardeau de mes souffrances. Si je suis parti, c’est pour trouver cette libération."

Je ne réponds rien. C’est ce que j’avais toujours espéré, sans oser le lui dire. A présent, il est là, respirant librement, n’attendant plus rien, dénué de toute culpabilité, de toute obligation, de toute entrave. Mais moi, que vais-je faire? Je suis venue chercher mon étoile, et je ne dois pas m’attarder. Lui n’a pas besoin de moi. Il a trouvé son lieu, son feu, sa maîtresse. D’ailleurs, qui est donc cette mystérieuse maîtresse dont il parle avec tant d’ardeur?

"Est-elle seule ici, cette maîtresse? lui demandé-je.

- Non, il y a aussi un maître, ainsi que de nombreux humains venus de la terre. Tous sont de passage. Ils se purgent de leurs peines avant de repartir, les uns pour trouver leur étoile, les autres pour retourner sur terre. Ils se libèrent de l’immense souffrance qu’ils ont endurée sur terre.

- Je suis surprise de t’entendre parler ainsi. Cela te ressemble si peu! Comme tu as changé! D’ailleurs, ton visage, tes mains, ton corps, tout a changé, tout en toi est moins sec, moins rigide, plus ample, plus lumineux…

- Merci…"

Son visage s’éclaire; je ne l’ai jamais vu ainsi. Ou peut-être une fois, il y a bien longtemps, dans son lieu de travail, le soir de son anniversaire. Je tenais une pépite de chocolat dans le creux de ma main, un de ces "chocolats-baisers" enrobés d’un mot doux et poétique que nous avions coutume de nous offrir et de grignoter. Je voulais le lui donner, mais je me suis mise à lui parler, et le chocolat peu à peu a fondu dans ma main. Alors, son visage a totalement changé, il est devenu lisse, détendu, sans qu’il s’en aperçoive, et je ne l’ai pas reconnu. J’ai vu en lui l’enfant, l’adolescent, le jeune homme, l’homme jeune, et celui qui est ici en ce moment, sur l’étoile. Mais brusquement, la sonnerie du téléphone a retenti. En un bref instant, il est redevenu lui-même. Il a répondu, a raccroché, a souri; mais ce n’était plus le même sourire, c’était son sourire mondain. J’ai ri en lui tendant le chocolat fondu dans son emballage, pour dissimuler ma désillusion.

Et nous voilà tous deux sur une étoile de transit qui libère des souffrances! Combien de souffrances ai-je accumulées? Des années-lumière de souffrances! Combien de temps me faudra-t-il pour m’en libérer? Pourrai-je un jour repartir? Peut-être sommes-nous déjà morts sans le savoir.

Il me regarde paisiblement. Il est vêtu de blanc, lui qui était toujours en gris ou en noir. Il porte un ample pantalon blanc, un polo blanc et des sandales. Il est rayonnant et je constate qu’il respire calmement, avec un plaisir manifeste.

"Il est temps de te préparer pour aller voir la maîtresse, me dit-il, et visiter l’étoile. Tu verras: tout y est magnifique!

- Non, je suis encore fatiguée. Tu m’as réveillée! Tu sais que je déteste être réveillée!

- Allons, allons, répond-il avec bienveillance. Après quelque temps ici, tu te sentiras mieux.

- Je ne veux pas rester ici avec toi!

- Tu n’es pas obligée de me voir, il y a beaucoup d’autres êtres humains à rencontrer. Tu vas rester. Tu portes beaucoup de blessures en toi. Tu dois t’alléger de ces peines avant de repartir, sinon ton voyage aura été vain."

 

J’en ai assez de bouder. Je me lève et vais vers lui. Il me prend par la main et m’emmène dehors. Je suis stupéfaite. Nous sommes dans un désert rouge, le même que j’ai vu en Afrique sur la terre. Mais, il n’y a pas d’oiseaux qui chantent et volent, pas d’insectes qui fourmillent, pas de papillons qui folâtrent, pas d’arbres en feuilles et en fleurs, rien! Je soupire. C’est beau, ces dunes rouges et cette lumière, mais où se camoufle donc la vie?

Couple perdu dans désert rouge

"Que mange-t-on ici? fis-je. Je n’ai rien pris depuis mon arrivée.

- Manger? On ne mange rien. On boit: il y a des lacs et des sources avec une eau délicieuse; cela nous suffit amplement. En tout cas, je n’ai jamais faim et mon corps n’a pas changé.

- Si, il a changé, il est plus épanoui. C’est comme si tu avais fait bombance durant des mois!

- Oui, j’ai fait bombance… J’ai bu de l’eau, j’ai parlé à la maîtresse…

- Encore ta maîtresse? Je suis jalouse!"

Il éclate de rire. Il est si différent, vivant, simple, épanoui comme une fleur. Comment est-ce possible? Peut-être est-il amoureux?

"Non, ce n’est pas ce que tu crois, dit-t-il, comme s’il devinait mes pensées. Je ne suis pas amoureux! Je suis libre! Je respire librement, mon corps et mon âme vibrent de concert, pacifiés.

- Bon, bon, je veux bien te croire…"

 

Nous traversons le désert de sable rouge qui s’étend à perte de vue. Cependant, tout paraît terriblement vivant. Nous croisons de nombreux humains, des femmes, des hommes. Ils dégagent tous cette joie, cette plénitude, cette quiétude. Quelques uns paraissent mélancoliques, ont un peu d’humeur chagrine dans le regard, d’agressivité dans les gestes, la démarche apprêtée. Mais en les regardant attentivement, je comprends qu’ils sont en pleine transformation. Je dois être la seule à ronchonner, à avoir encore des états d’âme impétueux, à éprouver cette insatisfaction, cette frustration de terrienne en moi.

De temps en temps, nous passons par un village de huttes semblables à celle où j’ai passé la nuit, envahi de monde. Nous nous arrêtons à une source ou au bord d’un petit lac à l’eau transparente. Il se désaltère, recueillant l’eau dans ses mains croisées et la savourant lentement, avec délice.

"L’eau de vie… murmure-t-il en souriant étrangement.

- Je préférerais une vraie eau de vie! fis-je un peu belliqueuse. Au moins, elle me donnerait un peu de force pour avancer dans ce sable, sous ce soleil de plomb!

- Patience, patience, nous arrivons."

Une fois de plus, je ne le reconnais pas: lui auparavant si impatient et agité. Est-ce vraiment lui?

Enfin, j’aperçois un triangle étincelant, une sorte de pyramide qui évoque une immense termitière.

Pyramide rouge

"Voilà, me dit-il, nous sommes arrivés. Je t’attends dehors. Tu dois y aller seule.

- Tu ne m’accompagnes pas? m’écrié-je.

- Je ne peux pas. Allez! Entre! Je t’attends.

- Je ne veux plus te voir! Jamais! Ce n’est pas la peine de m’attendre!"

Il soupire, sourit, me prend la main, la serre, me fait un geste amical, puis s’assied sur un rocher, contemplant le ciel.

 

Je hausse les épaules et pousse une porte découpée dans l’édifice. Je ne connais pas les matériaux dont il est fait: verre, pierre, argile, sable, poussière d’étoile? Qu’importe! J’enfile une interminable galerie aux parois d’un bleu apaisant. Je respire plus aisément, je sens une douceur m’envahir. Je continue jusqu’à ce que je débouche dans une pièce aux murs sombres, dont le toit est soutenu par cinq poutres. J’ai l’impression d’être dans une cathédrale.

Au milieu, sur un trône, est assise une forme humaine. A mon arrivée, elle se lève, vient vers moi, les bras tendus.

C’est un homme. Je suis presque déçue. Il m’avait parlé d’une maîtresse. Je ne sais que dire. L’homme est grand, d’une beauté surnaturelle, les traits fins, le visage sensible, mais le corps vigoureux. Un masculin accompli, me dis-je, comme il n’en existe pas sur terre.

"Je suis le maître de cette étoile, me dit-il d’une belle voix de basse.

- Je… Je croyais trouver une maîtresse, dis-je en rougissant et en détournant la tête.

- Je suis aussi la maîtresse, me dit alors une harmonieuse voix de femme."

Je relève la tête, stupéfaite. Devant moi, se tient une femme éblouissante qui pourrait être la sœur de l’homme.

"Comment est-ce possible?

- Je suis un être entier. Ce que tu vois n’est qu’illusion de tes sens. Tu vois l’aspect de moi que tu as envie de voir, que tu as besoin de voir, que tu projettes. Si tu étais clairvoyante et complète, tu me verrais tel ou telle que je suis."

Elle reprend alors sa forme masculine. Quelque chose me fait frissonner, que je n’ai jamais ressenti auparavant. C’est davantage que la paix, la joie, la plénitude, davantage que tout ce que j’ai pu éprouver sur terre. Autre chose, de tout à fait neuf, qui ne peut se dire avec des mots.

Je me tais et le regarde longuement. La beauté et l’unité qui se dégagent de lui n’ont pas besoin d’artifice, de paroles. Tantôt, il redevient elle, tantôt lui. L’un et l’autre me ravissent, fascinent mon être profond. Je comprends qu’ici les mots sont superflus. Je ne sais combien de temps cela dure. Puis il ou elle me dit:

"Tu peux t’en aller à présent. Reviens quand tu veux. Demeure sur cette étoile tant que tu en as envie. Et surtout, désaltère-toi en buvant son eau…"

Après ces paroles, il retourne s’asseoir sur son trône, d’un pas souverain et léger à la fois. Quoique étourdie, je me sens très vivante. Je refais le chemin en sens inverse, presque en courant, et je me précipite dehors.

 

Il n’est plus là! Je crie son nom. Pas de réponse. J’essaie de retrouver mon chemin vers ma hutte, mais je ne le vois toujours pas. Où est-il passé? Sans doute suis-je restée trop longtemps et a-t-il eu envie de boire de l’eau, ou de marcher. Je croise des êtres humains. Je suis très gaie et leur adresse à tous la parole; je leur parle de mon voyage, de mon arrivée, de l’édifice, du maître et de la maîtresse, de lui aussi. Mais ils ne l’ont pas vu. Je m’attarde. Je bois de l’eau bienfaisante, j’en bois à plusieurs reprises, à tel point que je ne peux plus m’arrêter. Elle m’apaise, me nourrit et me désaltère. Je ne sens plus ni faim ni désir en moi.

Enfin, j’arrive à ma hutte. La nuit s’apprête à tomber. Il n’est toujours pas là. Sa hutte est occupée par quelqu’un d’autre. De lui, nulle trace.

Les jours suivants, j’interroge tout le monde à son sujet. Mais personne ne l’a vu, de nombreux ne le connaissent pas. Depuis mon arrivée, certains sont repartis, d’autres arrivés. Il est impossible de savoir combien de temps s’est écoulé.

Je me fais de nouveaux amis, je me promène avec eux, je bois l’eau qui me rassasie, je me baigne dans les lacs frais, aussi légère et joyeuse qu’un oiseau qui n’a nul souci du passé ou de l’avenir. Je cours dans les dunes, je me laisse rouler dans le sable rouge, je chante, je ris, je m’ébats. Tout est délicieux. Je ne pense plus à lui et à sa mystérieuse disparition. J’ai sans doute rêvé qu’il était là.

Femme secouant cape rouge dans nature-Peinture

Une nuit, je ne perçois plus la moindre souffrance en moi, comme si l’eau avait tout purifié, éteint, comme si elle avait charrié avec elle toutes les peines de ma vie et cicatrisé toutes mes blessures. Je m’assoupis comme un enfant et dors longuement.

 

Brusquement, une sonnerie m’éveille en sursaut. C’est le téléphone! Non, ce n’est pas possible, il n’y a pas de téléphone sur l’étoile de transit. J’aimerais dormir encore, mais la sonnerie ne me laisse aucun répit.

Ouvrant les yeux, je regarde autour de moi. Stupeur! Je suis dans ma chambre, sur terre, et c’est mon propre téléphone qui sonne. Impossible! Je referme les yeux pour retourner sur l’étoile de transit, je suis sur le point d’éclater en sanglots. Mais le téléphone continue de sonner. De guerre lasse, je me lève pour décrocher.

"Allo, qui est à l’appareil?

- C’est moi! s’exclame une voix familière. Alors, où étais-tu donc passée? Cela fait des semaines que j’essaie de te joindre. J’ai une grande nouvelle à t’annoncer. Veux-tu que nous dînions ensemble ce soir?

- Oui, dis-je d’une voix hébétée."

Je n’en crois pas mes oreilles, ni mes yeux. Je suis revenue sur terre, et cette voix, c’était la sienne.

Le soir, je le retrouve dans un restaurant, comme d’habitude. Je me sens encore pleine de grâce et de poussière d’étoile. Et pourtant, j’ai une vague appréhension à l’idée de le voir. Je ne veux pas qu’il gâte cette grâce en moi, je crains sa présence agitée.

Comme je l’attends avec inquiétude, il arrive d’un pas tranquille et s’assied en face de moi. C’est bien lui. Le même que sur l’étoile. Aussi joyeux, libre, détaché, vrai, et également vêtu de blanc.

"C’est toi?

- Mais oui! Tu ne me reconnais pas? me demande-t-il avec une pointe d’humour.

- Mais…

- J’ai une grande nouvelle à t’annoncer: je suis guéri! Complètement guéri! Les médecins n’y comprennent rien. Ils crient même au miracle! Ils disent que je suis un cas! Figure-toi qu’à l’hôpital, au moment de m’opérer, j’ai sombré dans une sorte de coma. Ils ne m’ont donc pas opéré. Ce n’était pas la peine d’ailleurs. Ils ont refait des examens et ont constaté avec stupéfaction que j’étais guéri. Aussi m’ont-ils laissé dormir tout mon saoul. Et à mon réveil, ils m’ont annoncé l’incroyable nouvelle.

- Et tu n’as pas rêvé durant ton long sommeil?

- Vaguement… Je me souviens d’une femme rayonnante assise sur un trône. Et aussi d’avoir eu soif et de m’être désaltéré à une source dont l’eau était meilleure que le meilleur de nos vins!

- Et… c’est tout?

- Oui. Et toi, comment vas-tu?

- Merveilleusement bien."

 

Je ne lui parle pas de mon voyage. Peut-être ne me croirait-il pas. Et j’ai envie de le garder secret, inaccessible, comme une pierre précieuse au fond de moi.

Mandala dans cosmos

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