Destin masculin: L'homme et son double - "Fernand-Loyal et Fernand-Déloyal"

Jumeaux-Jules Breton

 

ÉLÉMENTS D’ANALYSE DE "FERNAND-LOYAL ET FERNAND-DÉLOYAL" (conte de Grimm)

 

"Fernand-Loyal et Fernand-Déloyal" développe avec finesse le motif des "deux compagnons de route" opposés - l’un loyal et l’autre déloyal. Ils représentent le conflit entre les opposés en soi, et posent donc le problème de l’ombre masculine.

Ce thème très ancien est illustré par de multiples versions qui remontent à une histoire juive du 12è siècle. Un rabbin, Johannan, doit découvrir et ramener une fiancée au Roi Salomon. Le personnage déloyal n’est pas un homme, mais la femme du rabbin qui est cupide et sera tuée. Cette histoire existe dans tous les pays européens. 

Universelle et archétypique, elle est toujours structurée de la même manière: l’homme loyal doit servir le roi et accomplir des exploits pour lui. Mais, il est sans cesse piégé et entravé par un personnage jaloux et déloyal. 

Sur le plan psychologique, c’est ainsi que se manifeste l’ombre chez l’homme. Dans ce couple d’opposés, l’un est l’ombre de l’autre, qu’il soit positif ou négatif. 

Si l’on est négatif consciemment, on porte la lumière dans son inconscient, même si elle n’est pas éveillée. Il existe des cas de conversion spectaculaire d’hommes qui ont mené une vie dissolue, destructrice ou criminelle et se sont transformés en saints. Ils ont intégré leur ombre et se sont ainsi unifiés, devenant eux-mêmes.

La littérature est truffée de personnages de "doubles" qui représentent les deux aspects d’un homme: Don Quichotte et Sancho Pança, Don Juan et Sganarelle; dans l’Antiquité, les célèbres jumeaux Romulus et Rémus, fondateurs de Rome, Castor et Pollux, etc.

Le don du mendiant

Il était une fois un mari et sa femme qui n’avaient pas eu d’enfants lorsqu’ils étaient riches, mais qui, devenus pauvres, eurent un petit garçon. Comme ils ne lui trouvaient pas de parrain, le mari dit qu’il allait en chercher un. Il se mit en route et rencontra un pauvre homme qui lui demanda où il allait. "Je vais essayer de trouver un parrain, car je suis si pauvre que personne ne veut accepter de l’être. – Pauvre vous êtes et pauvre je suis, dit l’homme, j’accepte d’être le parrain. Mais je suis trop misérable pour faire le moindre cadeau à l’enfant. Rentrez chez vous et dites à la sage-femme de porter l’enfant à l’église."

 

Homme mendiant

 

Lorsqu’ils arrivèrent à l’église, le mendiant donna à l’enfant le nom de Fernand-Loyal. Au sortir de l’église, il leur dit: "Rentrez à présent chez vous. Je ne peux rien offrir, aussi vous ne me devez rien." Cependant, il tendit une clef à la sage-femme en lui disant de la remettre au père  pour qu’il la garde jusqu’à ce que son fils ait quatorze ans. 

L’enfant devrait alors aller dans la lande: il y aurait là un château dont la clef ouvrirait la porte. Tout ce qui était dans le château serait à lui.

Qui est le mendiant?

Dans ce conte, le couple n’a pas de parrain pour le baptême de son nouveau-né. Le père rencontre un pauvre vieillard qui lui propose d’être ce parrain et lui offre une clé permettant à son fils d’ouvrir les portes d’un mystérieux château à l’âge de 14 ans.

Le parrain, et la marraine notamment, sont importants dans les contes, de même que dans la réalité. Ils ont été créés pour remplacer les parents en cas de défaillance de ceux-ci. Souvent, c’est une marraine-fée qui aide l’héroïne à réaliser sa destinée. Pour le héros, c’est un parent ou un inconnu qui joue ce rôle. 

Les parents sont très souvent la cause des problèmes des enfants. Il est évident que sans eux, il n’y aurait pas d’obstacles, d’épreuves, de défis à relever, de destinée personnelle à accomplir...

Les contes sont un reflet des divers problèmes psychologiques de l’être humain. Ils recèlent avec justesse et discernement ses facultés, ses capacités, ses richesses, sa force ou sa vulnérabilité intérieure, mettant l’accent sur l’attitude juste qu’il doit découvrir en lui. Les contes sont donc fondés sur des situations et processus psychologiques réels. Dans un grand nombre d’eux, les parents qui posent problème disparaissent totalement ou ne réapparaissent qu’à la fin, lorsque l’héroïne ou le héros s’est réalisée "sans eux", voire "malgré eux".

Ce vieillard-parrain apparaît soudainement comme une créature surhumaine, quasi divine, qui va décider de la destinée de Fernand-Loyal.

Certains contes anciens commencent par: "Dans les temps anciens, alors que Dieu cheminait encore sur la terre…". On y trouve encore l’idée que Dieu est une entité psychique qui circule parmi les hommes, et qu’il est possible de rencontrer sous une forme humaine. 

Notre conception actuelle de Dieu est devenue beaucoup plus abstraite, plus métaphysique, avec un Dieu lointain et inaccessible. Cependant, dans le folklore et les contes, Dieu continue de vivre parmi les êtres humains sous la forme d’un inconnu, d’un voyageur, d’un vagabond, de l’homme de la forêt…

Le vieillard-parrain semble être l'une de ces représentations païennes et anciennes de Dieu: une figure qui surgit de l’inconscient pour compenser le conformisme d’un dieu unilatéral et incomplet, tel le "bon dieu" du christianisme, dont l’aspect obscur, personnifié par Satan, n’est pas pris en compte.

Ce vieillard offre à Fernand-Loyal la clé d’un château qui contient de grandes richesses, mais que l’enfant ne pourra découvrir qu’à l’âge de 14 ans. 

La clé du château

Clé en or

 

La clé a une double fonction: l’ouverture et la fermeture des portes. Elle initie et sépare. Dans ce conte, la fonction initiatique est prépondérante.

Dans la Rome antique, le dieu Janus détenait les clefs du ciel: on l’a associé au mois de janvier car ce mois achève l’année passée et amorce l’année nouvelle. Janus était représenté par deux visages, l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir, incarnant le commencement et la fin.

Psychologiquement, le double obscur ou l’ombre, quoique inférieur, n’en est pas moins utile. Si l’on parvient à l’intégrer, cela équivaut à lui confier la clé de notre paradis intérieur. Dans ce cas, on peut avoir confiance en lui, compter sur son soutien, car il cesse d’oeuvrer contre nous.

En tant que représentant de la conscience collective d’une époque, le roi du conte n’est plus adapté à la nouvelle situation. Et le vieillard parrain survient au moment propice pour préparer la venue d’un nouveau roi, susceptible de renouveler la conscience collective. 

Dans ce conte, c’est donc une sorte de vieux dieu archaïque qui détient la clé du château, la clé du royaume.

Dans de nombreux récits, le château représente le "château intérieur", la force intérieure, et même la psyché totale: Thérèse d’Avila en est un remarquable exemple avec son ouvrage "Le château de l’âme".

Sur le plan symbolique, le château est féminin et maternel. Bien que positif, il peut aussi être négatif lorsqu’il n’est qu’un "château de sable" ou "château en Espagne", c’est-à-dire une illusion et un rêve irréalisables qui compensent des désirs refoulés. Plus la vie est difficile, plus on a tendance à se réfugier dans son château intérieur ou son imaginaire.

Le château représente donc soit la force intérieure soit la fuite devant la réalité. 

Dans ce conte, le château est positif: à l’intérieur mûrit et croît la nouvelle conscience collective, la nouvelle religion, le nouveau roi, et la lumière neuve.

Le cheval blanc

Cette lumière est figurée par le cheval blanc que le héros va découvrir dans le château.

Ce cheval possède le don de la parole et s’avère être un prince maudit. Cette lumière neuve va devenir humaine, consciente et s’incarner.

 

Cheval blanc-Peinture

 

 

Le garçon grandissait. Quand il eut sept ans, un jour qu’il s’amusait avec d’autres enfants, il les entendit se vanter des beaux cadeaux que leurs parrains leur avaient donnés. Comme lui n’avait rien reçu, il se mit à pleurer. Il revint à la maison et demanda à son père: "Je n’ai donc rien eu de mon parrain, moi? – Mais si, lui répondit son père, tu as reçu une clef; quand il y aura un château sur la lande, tu pourras y aller et l’ouvrir avec ta clef."

L’enfant y courut aussitôt, mais, sur la lande, on ne voyait aucun château. Cependant, quand il y retourna sept ans plus tard, à l’âge de quatorze ans, le château était bien là. Ayant ouvert la porte, il y trouva un cheval blanc. Fou de joie, le jeune garçon l’enfourcha et rentra au galop chez son père. "À présent que j’ai un cheval blanc, je veux voyager", dit-il.

Le rythme de maturation

C’est à l’âge de 14 ans que le jeune garçon pénètre dans le château: c’est l’âge de la puberté. À l’époque de ce conte, un adolescent de 14 ans était considéré comme un adulte. Au 16è siècle, certains garçons de 12 ans devenaient officiers dans l’armée hollandaise. C’est l’âge où l’on est impatient de se dégager de l'enfance et de s’engager dans une vie nouvelle.

Sur le plan psychologique, lorsque s’amorce une transformation intérieure, il faut parfois attendre longtemps avant qu’elle ne se réalise. Les processus psychologiques ont leur rythme propre et on ne peut les changer et les accélérer, à l’instar des processus naturels.

Ces rythmes sont naturels et instinctifs: il faut attendre que les choses soient mûres pour que le changement intérieur ou extérieur se réalise naturellement. À défaut, on l’entrave et il faut attendre la prochaine possibilité. Malheureusement, nous avons toujours tendance à vouloir accélérer ces processus, parce que nous vivons de plus en plus rapidement, conditionnés, voire possédés, par la précipitation et la vitesse. 

Il est certes possible d’accélérer notre manière de vivre, de travailler, de communiquer, de se déplacer.

Mais il est impossible d’accélérer notre rythme d’évolution et de maturation psychologique. 

De même que l’on peut accélérer les rythmes biologiques en faisant pousser des plantes par des moyens artificiels, ou accélérer l’éducation des enfants. Mais il est impossible d’accélérer leur vraie maturation, qui obéit à des lois que l’on ignore ou que l’on ne veut pas respecter.

En explorant les contes et récits symboliques, on transpose des traditions passées dans l’époque actuelle. Cela nous permet de retisser le lien entre notre conscience actuelle et ces traditions anciennes, avec leur sagesse et leur richesse naturelles que nous avons oubliées.

N’oublions pas que tout cela est toujours vivant en nous et que les éléments symboliques nous permettent de ramener à la conscience des contenus de l’inconscient, des archétypes sages et justes. 

C’est ce que font symboliquement les héros des contes: ils nous révèlent un chemin différent vers nous-mêmes.

Le voyage de Fernand-Loyal

Fernand-Loyal partit au galop. Sur le chemin, il vit par terre une plume d’oie taillée pour écrire. Il se dit: "Bah, laisse-là où elle est! Où que tu sois, tu auras toujours une plume pour écrire s’il t’en faut une!" Il allait continuer sa route lorsqu’une voix cria derrière lui: "Fernand-Loyal, prends-là!"

 

Plume bleue rouge

 

Il se retourna et, ne voyant personne, revint en arrière et ramassa la plume. Ayant chevauché un certain temps le long d’une rivière, il vit un poisson échoué sur la rive. "Attends, mon petit poisson, je vais te remettre à l’eau."

Le poisson sortit la tête de l’eau et lui dit: "Puisque tu m’as tiré de la boue, je te donne un pipeau; si tu es en difficulté, souffle dedans et je viendrai à ton secours; et si tu perds un objet dans l’eau, souffle dans ton pipeau et je te rapporterai ce que tu auras perdu."

 

Poisson rouge imaginaire

Les objets ou dons qui lui sont offerts

Après avoir découvert le cheval blanc dans le château, le jeune homme part à l’aventure, en quête de sa destinée. Sur sa route, il fait des découvertes fondamentales.

Il trouve d’abord une plume d’oie taillée: bien qu’il soit tenté de la négliger, une voix intérieure lui enjoint de la prendre. 

Elle est peut-être liée aux manuscrits et écrits de la princesse qu’il va chercher.

Quoiqu’il en soit, elle représente l’écriture et la créativité. C’est un signe que Fernand-Loyal va devenir créatif dans le domaine de l’écriture, puisqu’il s’agit d’une plume taillée destinée à écrire.

Puis il sauve un poisson qui lui donne en échange un pipeau grâce auquel il pourra l’appeler en cas de besoin.

Le poisson est un contenu de l’inconscient bénéfique.

Quant au pipeau, c’est la flûte la plus simple qui existe, inventée par le dieu Hermès. Elle est liée au souffle humain et à la nature primitive de l’homme.

Androgyne, elle est masculine par sa forme phallique et féminine par la musique et l’enchantement qu’elle suscite lorsque le souffle l’anime.

Rencontre avec Fernand-Déloyal

Comme il continuait à chevaucher, il vit venir vers lui un jeune homme qui lui demanda où il allait. "Je ne vais qu’au prochain bourg." L’autre lui demanda comment il s’appelait. "Fernand-Loyal, répondit-il. – En ce cas, dit l’autre, nous avons presque le même nom, je m’appelle Fernand-Déloyal."

Ils s’arrêtèrent ensemble à une auberge. Or, ce qui était grave, c’était que Fernand-Déloyal savait tout ce que Fernand-Loyal pensait et avait l’intention de faire, car il était versé en toutes sortes de sorcelleries et de tours de magie.

 

Homme-Giorgione

 

Enfin, Fernand-Loyal rencontre Fernand-Déloyal.

C’est alors qu’il est confronté à son double et que commence la relation entre les deux compagnons opposés. Et dès le début, Fernand-Déloyal désire nuire à Fernand-Loyal.

Fernand-Déloyal représente le conformisme, la jalousie, l’envie, l’agressivité, tout ce qui résiste au renouveau et à la croissance. Il veut entraver l’évolution de la conscience, de la connaissance de soi. 

Psychologiquement, certains aspects en nous nous empêchent de progresser dans la vie. Il est important de les découvrir, les dévoiler, les accepter et les assimiler. Car c’est en intégrant cette "ombre" que l’on peut y découvrir aussi ses aspects utiles et positifs.

Cependant, Fernand-déloyal n’est pas le facteur décisif dans la lutte entre les deux opposés: il n’y a pas de combat direct entre eux. 

Finalement, c’est le féminin, la princesse, qui va avoir le dernier mot et prendre la décision ultime en refusant d’épouser le vieux roi et en lui préférant Fernand-Loyal.

A la cour du roi

Dans cette auberge, il y avait une jeune servante très jolie qui s’était éprise de Fernand-Loyal, car il était très beau garçon. Elle lui demanda où il allait et il lui répondit qu’il voulait simplement voir du pays, et n’avait pas de but précis. "Pourquoi ne resterais-tu pas un peu ici?" lui dit-elle. 

 

Femme portant vase dans cour intérieure

 

Il y aurait sûrement en emploi pour lui à la cour et le roi ne demanderait pas mieux que de le prendre comme valet ou comme piqueur. Il répondit qu’il ne pouvait se présenter lui-même à la cour pour proposer ses services. "Cela, je peux le faire!" s’exclama la jeune fille, et elle se rendit immédiatement chez le roi pour lui dire qu’elle connaissait un jeune homme très bien et sympathique qu’il pourrait prendre à son service. Le roi, content, le fit venir et lui dit qu’il le prenait comme valet. Mais Fernand-Loyal ne voulait pas se séparer de son cheval, ce que le roi respecta. Il l’engagea donc comme piqueur.

Lorsqu’il l’apprit, Fernand-Déloyal se plaignit à la servante: "Alors, tu t’occupes de lui et pas de moi? – Oh ! répondit-elle, je ferais volontiers la même chose pour toi!" Mais c’était uniquement pour ne pas le fâcher, car elle se disait: "Celui-là, mieux vaut se le concilier et s’en faire un ami, car sait-on jamais? il ne m’inspire aucune confiance." Elle retourna donc chez le roi pour le recommander, et le roi l’engagea comme valet. 

Epreuve infligée par le roi

Tous les matins, quand il venait habiller son maître, Sa Majesté recommençait les mêmes plaintes: "Ah ! si je pouvais avoir ma bien-aimée auprès de moi! Que n’est-elle ici, celle que j’aime!" 

Comme Fernand-Déloyal voulait nuire à Fernand-Loyal, un matin que le roi se plaignait une fois de plus, il lui dit: "Majesté, vous avez un piqueur! Envoyez-le la chercher, et s’il ne la ramène pas, que sa tête roule à ses pieds!" Le roi trouva le conseil bon et fit appeler Fernand-Loyal. Il lui apprit qu’il y avait, à un certain endroit du monde, une princesse qu’il aimait. "Va l’enlever pour moi, sinon tu mourras!" lui dit-il.

 

Fernand-Loyal rencontre le roi grâce à une jeune domestique qui est amoureuse de lui et l’aide à se faire engager à la cour.

Elle représente une première rencontre avec le féminin et préfigure la princesse. Mais Fernand-Déloyal se fait également engager et incite le roi à le mettre à l’épreuve.

Cette épreuve consiste à ramener au roi la princesse qu’il aime: il s’agit d’une épreuve  dangereuse, où Fernand-Loyal court le risque de mourir. 

 

Voiliers rouges-Peinture

L'aide du cheval blanc

Fernand-Loyal se rendit à l’écurie où était son cheval et se mit à pleurer et à se plaindre: "Pauvre de moi! Malheureux que je suis, quel destin! – Fernand-Loyal, pourquoi pleures-tu?" fit une voix derrière lui. Il se retourna et, ne voyant personne, se lamenta de plus belle. "O mon cher cheval blanc, que je suis malheureux! Il nous faut à présent nous séparer, car je vais mourir, adieu! – Fernand-Loyal, pourquoi pleures-tu?" demanda de nouveau la voix.

Alors il comprit que c’était son cheval blanc qui lui posait la question. "Comment, c’est toi qui me questionnais, mon petit cheval? Tu sais parler?" s’exclama-t-il. Puis il ajouta: "Il faut que je me rende à tel et tel endroit pour y enlever la fiancée du roi. Comment veux-tu que j’y parvienne?"

"Retourne vers le roi, répondit le cheval blanc, et dis-lui que s’il te donne ce que tu lui demandes, tu lui ramèneras sa bien-aimée. Mais il te faut un navire chargé de viande et un autre navire chargé de pain pour réussir, car tu auras affaire à de terribles géants sur la mer, et si tu n’as pas de viande à leur donner, ils te dévoreront. Il y aura aussi d’énormes oiseaux qui t’arracheront les yeux à coups de bec si tu n’as pas de pain à leur donner."

Le roi mit tous les bouchers du royaume à l’abattage de la viande et tous les boulangers du royaume à la cuisson du pain jusqu’à ce que les navires furent complètement chargés. Quand tout fut prêt, le cheval blanc dit à Fernand-Loyal: "Maintenant, monte en selle et conduis-moi sur le bateau.

Lorsque les géants arriveront, tu leur diras: Mes cher gentils géants, tout doux, tout doux! J’ai bien pensé à vous. J’ai apporté quelque chose pour vous. 

 

Homme géant

 

Puis, quand viendront les oiseaux, tu diras de nouveau: Mes cher petits oiseaux, tout doux, tout doux! J’ai bien pensé à vous. J’ai apporté quelque chose pour vous.

 

Oiseaux dans ciel crépusculaire

 

Alors ils ne te feront pas de mal et lorsque tu arriveras au château, les géants t’aideront. Quand tu y entreras, fais-toi accompagner par plusieurs géants. La princesse sera couchée et dormira. Tu ne dois pas la réveiller: les géants la porteront avec son lit et la déposeront sur le bateau."

Enfant et cheval dans paysage fantastique

 

Par bonheur, le cheval blanc est un animal secourable pour Fernand-Loyal. Il l'aide en lui conseillant d’emporter du pain et de la viande pour lutter contre les adversaires qu’il devra affronter: les géants et les oiseaux dangereux.

Il lui révèle également la manière juste de procéder pour enlever la princesse endormie.

Les géants et les oiseaux sont des opposés: les oiseaux sont ouraniens - des créatures du ciel -, et les géants chtoniens - des créatures de la terre.

En Grèce, les géants-titans sont fils de la terre Gaïa: ils ne peuvent être vaincus, en raison de leur force, même par les dieux eux-mêmes. C’est pourquoi, les dieux demandent souvent aux hommes de les combattre.

Vaincre un géant consiste à vaincre sa propre animalité, sa bestialité, sa primitivité.

La recherche de la princesse

Dans ce conte, en les nourrissant, Fernand-Loyal obtient leur soutien et leur force, car ils vont transporter la princesse endormie dans son lit sur son vaisseau.

Quant à l’oiseau, il est ici négatif: un oiseau de proie qui dévore sa victime et est en lien avec la mort. D’où la nécessité de le nourrir de pain.

La fonction de l’oiseau dans ce conte est inaccoutumée: on aurait pu choisir un animal moins spirituel, moins bénéfique, car l’oiseau est toujours positif et symbolise la spiritualité. Dans ce conte, il fait peut-être référence à la plume d’oie, avec laquelle Fernand-Loyal a un problème.

 

Tout se passa exactement comme l’avait dit le cheval blanc. Fernand-Loyal offrit aux géants et aux oiseaux ce qu’il avait emporté pour eux, et les géants, matés, transportèrent la princesse endormie de son château sur le bateau, puis chez le roi. 

 

Femme au chevet d'une femme allongée

Second voyage de Fernand-Loyal

Mais quand elle fut devant le roi, la princesse déclara qu’elle ne pourrait rester avec lui si elle n’avait pas ses écrits qui étaient restés dans son château.

Sur le conseil de Fernand-Déloyal, Fernand-Loyal fut appelé devant le roi qui lui ordonna de partir à nouveau à la recherche de ses papiers, sous peine de mort. 

Désespéré, il retourna à l’écurie près du cheval blanc: "O mon cher petit cheval, il me faut recommencer tout le voyage,  comment réussirai-je?"

Le cheval blanc lui dit qu’il fallait de nouveau charger les navires, et tout se passa aussi bien que la première fois quand les géants et les oiseaux furent rassasiés. Près du château, le cheval blanc lui dit qu’il trouverait les manuscrits sur la table de la chambre de la princesse. Il les trouva et les emporta. 

 

Vieux livre aux feuilles recourbées

La plume d'oie et la créativité

Mais quand ils furent au large, Fernand-Loyal laissa échapper sa plume qui tomba à l’eau. Son cheval lui dit: "Cette fois, je ne peux rien pour toi." Alors Fernand-Loyal se rappela son pipeau et se mit à en jouer. Le poisson arriva aussitôt, portant dans sa bouche la plume d’oie qu’il lui rendit. Il put alors rapporter les écrits au château où fut célébré le mariage.

 

Joueur de flûte-Hendrick Terbrugghen

 

Après avoir ramené la princesse au roi, celle-ci désire vivement récupérer ses manuscrits et ses écrits. C’est lors de ce second voyage que se manifeste le problème de Fernand-Loyal avec sa plume d’oie.

Laisser tomber sa plume dans l’eau - c’est-à-dire dans l’inconscient - est un acte manqué qui révèle son état d’esprit et sa résistance. Mais, il la récupère en jouant du pipeau donné par le poisson. 

De quel problème s’agit-il donc? Un problème de créativité. La princesse représente le féminin de Fernand-Loyal, donc sa muse et son inspiratrice, source de créativité. Peut-être résiste-t-il encore à cette créativité en désirant inconsciemment se débarrasser de sa plume.

Ce qui est remarquable dans ce conte, c’est que le féminin se manifeste sous son aspect créatif, l’écriture particulièrement et la transmission de la connaissance. La princesse possède des documents qui ont de la valeur puisqu’elle insiste pour les récupérer.

Sur le plan psychologique, ils ne doivent pas être oubliés ou refoulés dans l’inconscient. De même que la plume d’oie, car on peut supposer que le prince lui aussi écrira un jour et sera créatif. C’est de cette manière qu’il va intégrer le féminin, que ce dernier va se réaliser en lui.

Le féminin chez l’homme correspond également à ce qui relève de la création, la créativité, l’imaginaire, l’inspiration. On parle du féminin ("anima" selon Jung) comme d’une muse. Les hommes créateurs ont en général intégré cette muse, mais certains la projettent sur une femme extérieure, une inspiratrice réelle.

Psychologiquement, si un homme refoule le féminin en lui, il refoule également des facultés essentielles, telles l’inspiration et la créativité. 

L'évolution de Fernand-Loyal

Dans cet épisode de la perte de la plume d’oie, Fernand-Loyal joue pour la première fois un rôle actif dans sa vie.

Le cheval blanc lui dit qu’il ne peut l’aider. Cela signifie que l’élan vital, l’instinct, ne suffit plus. Fernand-Loyal doit faire un choix personnel. À l’aide du pipeau, et de sa symbolique masculine, il doit agir pour récupérer la plume.

De nombreuses personnes qui ont des élans créateurs font l’expérience de tels conflits. Elles sont bloquées par leur inertie, leur paresse, leurs habitudes, leur conformisme. Il leur faut alors du courage et de l’énergie pour trouver en elles les idées créatrices et les ramener à la conscience pour leur donner forme. 

Fernand-Loyal finit donc par accepter et assumer son destin. Il ne lutte pas directement contre Fernand-Déloyal, son double obscur. Il ne se défend même pas contre lui et ses manigances. Il laisse advenir la solution.

Sur le plan psychologique, c’est une attitude juste. Lorsque l'on prend son ombre au sérieux, avec honnêteté et intégrité, lorsque l’on reste ouvert et disponible à ce qui surgit de l’inconscient, le conflit créé par l’ombre en nous se résout de lui-même. Cependant, si l’on se révolte contre l’ombre, si l’on a une attitude morale rigide, conventionnelle, si l’on refuse ce qu’on découvre en soi, le conflit intérieur s’accroît, devient épuisant et déchirant, jusqu’à nous détruire.

Sur le plan collectif, c’est le problème fondamental de notre civilisation chrétienne qui a séparé radicalement le bien du mal, l’ombre de la lumière. Cela n’a fait qu’accentuer le conflit entre ces opposés.

Les gens qui ont une morale rigide et radicale, et qui choisissent exclusivement le bien, peuvent aussi avoir des problèmes avec l’ombre. Ils peuvent même se laisser détruire par elle en voulant la combattre ou la supprimer plutôt que l’accepter et l’intégrer. Certains mystiques ont eu cette attitude radicale et ont dû lutter contre eux-mêmes en mettant leur vie en danger. 

C’est un problème ardu et subjectif: chacun doit trouver son attitude propre face à ce problème et savoir jusqu’à quel point il peut partager la souffrance humaine et lutter contre la misère du monde. Seul le SOI - notre être total - peut prendre une telle décision. Et seule la soumission au SOI peut nous aider à prendre la décision juste.

Les manuscrits de la princesse

Femme ancienne écrivaine

 

Les manuscrits et écrits de la princesse contiennent peut-être un savoir secret, puisque la princesse les a gardés dans son pays lointain qui est l’inconscient.

Ils évoquent les textes interdits qui ont circulé "sous le manteau" depuis toujours. Textes ésotériques du Moyen-Âge, écrits des Albigeois, des Cathares, textes alchimiques, mythologie du Graal, textes gnostiques… Toutes ces traditions ne pouvaient être enseignées officiellement, car elles étaient considérées par l’Eglise officielle comme hérétiques. À tel point que leur sagesse, leurs richesses et leurs connaissances ont été totalement refoulées par la conscience collective.

Dans ce conte, il peut également s’agir de documents de magie et de sorcellerie, car la princesse est magicienne. Elle a la faculté de décapiter les gens et de leur rendre leurs têtes. Elle possède un immense pouvoir, celui de faire et de défaire les rois, d’influer sur le cours de l’histoire et le renouvellement de la conscience collective.

En fait, ce type de connaissance traditionnelle n’a de sens que si elle est vécue empiriquement. Ce sont des vérités intérieures et archétypiques éternelles et leur incarnation dans la réalité varie en fonction des époques et des civilisations. C’est pourquoi elles ont régulièrement besoin d’être renouvelées dans leurs formes et les figures symboliques qui les représentent.

La princesse élimine le vieux roi

La nouvelle reine, qui n’aimait pas le roi parce qu’il n’avait pas de nez, eût été bien aise d’avoir Fernand-Loyal comme époux. Un jour, devant tous les seigneurs de la cour, elle annonça qu’elle connaissait des tours de magie et qu’elle pouvait, par exemple, décapiter une personne et lui remettre la tête en place, comme si de rien n’était. 

Quelqu’un voulait-il essayer? Mais personne ne voulut être le premier. Une fois de plus, à la suggestion de Fernand-Déloyal, Fernand-Loyal dut se soumettre. La reine lui coupa la tête, la replaça sur son cou où elle se ressouda instantanément. Il ne lui resta qu’une petite marque comme un fil rouge sur la peau du cou.

"Mon enfant, comment as-tu appris ces choses? s’étonna le roi. – Oui, dit la reine, je connais les secrets de cet art. Veux-tu que je le fasse avec toi? – Bien sûr!" dit le roi. Alors elle le décapita. 

 

Homme à tête coupée

 

Mais quand la tête fut tombée, elle ne la lui remit pas en place et feignit de ne pas y parvenir. Et quand le roi eut été mis au tombeau, elle épousa Fernand-Loyal.

L'attitude juste

Dans ce conte, l’attitude juste et la solution sont trouvées par la princesse, c’est-à-dire par l’inconscient. 

Elle décapite le roi et permet ainsi à Fernand-Loyal de devenir roi.

Sur le plan psychologique, il faut supporter le conflit avec l’ombre jusqu’à ce que survienne un "troisième terme" issu de l’union et de l'intégration des contraires en soi.

C’est souvent un événement inattendu qui opère un retournement de la situation et permet de dépasser le conflit plutôt que de le résoudre. Il ne peut survenir que si l’on renonce à son EGO, si l’on se soumet, "sans espoir", aux forces inconnues de notre âme, à notre inconscient. 

Si Fernand-Loyal avait voulu résoudre seul le problème, rien ne serait advenu. Mais comme il n’a pas d’ambition, ni l’intention de devenir roi, il se contente de rester à sa place, face à l’ombre, aux opposés en lui. Cette attitude désintéressée provoque celle de la princesse, qui coupe la tête du vieux roi.

Sur le plan psychologique, c’est l’attitude caractéristique du féminin lorsqu’il veut perdre un homme. Celui-ci est alors possédé par lui jusqu’à en être détruit.

Pourtant, la répugnance de la princesse vis-à-vis du roi semble incompréhensible à première vue: elle n’aime pas le roi parce qu’il n’a pas de nez.

Si le roi n’a pas de nez, c’est qu’il est incomplet et qu’il ne peut plus incarner la conscience collective.

Ne pas avoir de nez signifie que l’organe de l’odorat ne fonctionne plus. On dit "avoir du flair" ou "avoir du nez", car le nez sert à sentir et est en relation avec l’intuition qui dépasse la simple sensation. On "flaire un piège", une chose peut "sentir le soufre", on peut ne pas "sentir quelqu’un" ou l’avoir "dans le nez", etc.

Le roi a donc perdu son intuition et ne perçoit plus ce qui est vrai et juste. Lorsque l'on a perdu son flair, son nez, on a perdu la capacité de discerner ce qui ne va pas en nous et chez les autres. C’est pourquoi le roi écoute avec complaisance les suggestions et les conseils de Fernand-Déloyal.

De nombreux animaux ont un lobe cérébral important qui leur sert à flairer. Mais l’homme est très handicapé sur ce plan. Certains scientifiques prétendent que pour développer ses capacités cérébrales, il faut en sacrifier d’autres. Dans cette perspective, l’intellect de l’homme se serait donc développé aux dépens de son odorat, de son flair, de ses sens. L’homme a moins besoin des facultés sensorielles pour vivre que l’animal, alors elles ont été plus ou moins sacrifiées au détriment de son intellect, de son cerveau.

La métamorphose du cheval blanc

Devenu roi, Fernand-Loyal ne voulait pas d’autre monture que son cher cheval blanc, et un jour qu’il le chevauchait dans la campagne, le cheval lui dit d’aller dans une certaine lande qu’il lui indiqua et d’en faire trois fois le tour au galop. Lorsqu’ils l’eurent fait, le cheval blanc se mit debout sur ses pattes de derrière et se transforma en un fils de roi.

 

Roi marchant dans la forêt

Réalisation et libération de Fernand-Loyal

Le cheval blanc se transforme et devient fils de roi. L’instinct positif qu'il représente s’humanise totalement et devient en quelque sorte le fils de Fernand-Loyal

On peut s’interroger sur la destinée de Fernand-déloyal.

Dans le conte, il disparaît, ce qui paraît logique. Fernand-Loyal devient roi et incarne à présent la totalité - le SOI. Il est unifié, complet, son ombre ayant été intégrée à sa conscience.

Donc Fernand-Déloyal n’a plus d’existence autonome inconsciente et disparaît, libérant totalement Fernand-Loyal.

 

 

Couple femme à cheval-homme lyre

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