"La voie de l'arbre" - Fiction

 

Prologue

La voie de l’arbre est la voie naturelle: celle qui laisse agir la nature intérieure et extérieure, qui s’abandonne à sa loi, croît à son rythme, permet aux racines de l'arbre de vie de s’enfoncer et s’étendre dans la terre pour s'y nourrir, et aux branches de s’élever vers le ciel; celle qui accepte les aléas du temps et de la vie, et donne des fruits substantiels et nourrissants pour le corps et l’âme.

Le fruit le plus fécond de l’arbre de vie est la conscience qui, elle aussi, croît naturellement. Il suffit de se soumettre à son rythme personnel de maturation pour devenir humain, et se vivre soi-même dans sa totalité.

 

L'arbre-homme

La voie de l'arbre

En ces temps-là, une forêt infinie recouvrait la terre, emplie d’embûches et de dangers. Y abondaient d’inouïes surprises, des pièges maléfiques, des créatures monstrueuses. On y avançait en tâtonnant, car il faisait toujours nuit au coeur des immenses arbres broussailleux. Quelques rais de lumière baignaient les hauteurs, mais ne parvenaient jamais jusqu’à terre.

Sur les branches les plus hautes vivaient les humains les plus favorisés, ceux qui avaient les moyens de se réfugier dans leurs palais situés au faîte des arbres. Ils ne regardaient jamais ce qui se passait en bas. Les yeux levés vers le ciel, ils se contentaient de dérober au soleil les rayons chaleureux qu’il prodiguait aux sommets des arbres. Ces humains, tout en haut, n’étaient pas nombreux, mais ils se taillaient, dans les ramures majestueuses, la part du lion!

Plus bas, entre les hauteurs où se prélassait cette fine fleur et les bas-fonds, vivaient d’autres hommes, au coeur des branchages. Ils s’accommodaient de leur condition, même s’il n’avaient pas accès à la lumière du soleil. Ni à l’abondance et la plénitude de la vie.

Frileux et effrayés par une existence sans saveur, attirés par les hauteurs, ils tentaient constamment de s’approcher des "dieux" qui y vivaient. Eux non plus ne regardaient jamais vers le bas. Cela les terrorisait car ils venaient de la terre et craignaient d’y retomber. De préférence, ils tentaient de grimper sur quelque branche plus élevée et de s’y agripper avec acharnement.

 

Tours sur troncs d'arbres

 

Enfin, tout en bas, les bas-fonds. Un grand nombre d’hommes s'y terraient, si semblables les uns aux autres qu’il était difficile de les distinguer.

C’étaient les invisibles, ceux qui avaient les pieds sur terre, ou dans la terre, et s’amassaient dans les grottes, les fossés, les excavations, les creux. Ils consacraient leur temps à chercher la nourriture nécessaire pour subsister. On les appelait "les misérables", car ils étaient courbés vers la terre pour y trouver les maigres fruits qu’ils pouvaient en tirer, les yeux baissés, n’ayant guère la force de les relever et de distinguer ce qu’il y avait au-dessus d’eux.

Pourtant, comme ils en rêvaient, de ces hauteurs inaccessibles! Elles étaient l'unique fruit de leur imagination, leurs fantaisies, leurs espoirs. La seule nourriture qui leur permettait de demeurer vivants.

Ainsi passait le temps, invariable...

Jusqu'au jour où l'un des misérables disparut mystérieusement, s’évanouissant dans la brume qui régnait dans les bas-fonds. Mais personne ne s’en soucia.

 

Ombre d'homme dans forêt nocturne

 

Au fil du temps, d'autres disparurent. Puis ils furent de plus en plus nombreux à déserter la forêt qui ne les nourrissait plus. Leurs compagnons commencèrent alors à s'en inquiéter et partirent à leur recherche. Cela dura longtemps. Mais ils ne se décourageaient pas, comme si cette quête donnait un sens à leur sinistre existence.

Enfin, un jour, ils les retrouvèrent comme par miracle, à la lisière de la forêt infinie. Certains étaient seuls, d’autres en petits groupes. Sans se concerter, ils s’étaient mis à exercer une activité étrange et incompréhensible à ceux qui étaient partis à leur recherche.

Ils défrichaient la terre envahie de broussaille, ils taillaient des chemins dans la forêt, ils élaguaient les buissons impénétrables. Ils vivaient en plein soleil, démunis certes mais rayonnants de leur oeuvre de déblayage qui leur insufflait énergie et élan vital.

Chacun d’eux, un jour, avait eu le désir de tailler dans la masse d’arbres et de sous-bois pour ouvrir un chemin à ses semblables. Chemin vers la lumière, vers les terres fertiles, vers l’abondance de la vie.

Ils étaient devenus des défricheurs et des passeurs de vie. Bien que peu nombreux, ils espéraient libérer les misérables de la malédiction de l’infinie forêt obscure. Et chaque jour, d'autres hommes des bas-fonds les rejoignaient pour oeuvrer avec eux.

C’est ainsi que le peuple des misérables, des bas-fonds, s’était engagé dans la transformation de la nature. Tout en défrichant, ils s’appropriaient de plus en plus de terres vierges, les semaient et récoltaient le fruit de leurs semailles.

Ils attiraient également les humains qui vivaient dans les branchages et voyaient au bas luire la terre fertilisée. Irrésistiblement, ils descendaient de leurs arbres et se joignaient à eux.

Hélas, ceux qui vivaient au sommet des arbres ne voyaient rien de ce qui survenait en bas. Ils ne regardaient que le ciel et les rayons de lumière qui les atteignaient. Ils ne changeaient pas de place, ni d’habitudes, demeurant immobiles dans leurs palais, à demi-morts.

Pendant ce temps, se poursuivait le défrichage à  la lisière de la forêt et de plus en plus d’hommes descendaient des arbres pour s’associer à la fécondation de la terre.

 

Ceux qui poursuivaient cette oeuvre vivaient à présent en plein jour, jouissaient de la chaleur et de la lumière du soleil, faisaient naître les fruits de la terre. Et croissaient eux-mêmes comme des arbres.

Homme travaillant terre

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